Alors qu'au Canada, la décision finale de la Cour suprême dans la cause Bedford contre Canada pourrait éventuellement venir décriminaliser totalement la prostitution au pays, voilà que les députés de la France ont voté favorablement, le 4 décembre dernier, à la proposition de loi de lutte contre le système prostitutionnel, qui pénaliserait les clients d'actes sexuels.

Malgré la portée du «manifeste des 343 salauds» et les mises en garde de plusieurs organismes chargés en France de protéger les travailleuses et travailleurs du sexe (TDS), tels que le Syndicat du Travail Sexuel (STRASS), la France va donc de l'avant avec des politiques néo-abolitionnistes, et qu'importe si pénaliser les clients s'avère contre-productif.

Par la posture moralisante poussant à «criminaliser encore plus», la France se refuse à voir l'essentiel: l'achat de services sexuels ne sera que peu réduit par la pénalisation des clients, et les conditions des travailleuses et travailleurs du sexe (TDS) n'en seront pas améliorées. Au contraire, elles s'éroderont.

Lorsque la clientèle - tout comme les TDS - est criminalisée, la négociation, la communication, mais également le «filtrage» des clients est plus difficile. Lorsque les personnes achetant des services sexuels sont ciblées, les TDS sont davantage portées à prendre des risques avec de nouveaux clients et même à offrir des services qu'elles n'offriraient pas habituellement. Croire que la pénalisation de la demande permettra l'éradication de l'offre est un leurre.

On peut le constater avec le modèle suédois, cité à tort comme une panacée, et vers lequel tend la France. Différents intervenants et chercheurs suédois, mais également les ministères de la Justice et de la Police de ce pays, ont émis de vives critiques à l'endroit d'une loi entrée en vigueur en 1999 qui pénalise les clients-proxénètes. Les TDS ne sont pas mieux protégés, puisque ce modèle prohibitionniste les force à travailler dans l'ombre, tend à l'exacerbation de la répression à leur endroit, à la stigmatisation et à les éloigner des ressources sanitaires et juridiques.

On observe aussi une plus grande difficulté d'action pour les services de police luttant contre la traite et l'exploitation. Les TDS ont déjà de la difficulté à négocier avec leurs clients et partenaires de travail et à rapporter les abus sans peur d'être criminalisés. La loi française ne leur rajoutera qu'un fardeau supplémentaire.

Soyons clair, il importe de lutter ardemment contre la traite des êtres humains, l'esclavage et l'exploitation sexuelle, mais s'attaquer ainsi au complexe phénomène qu'est la prostitution révèle une méconnaissance des enjeux y étant rattachés.

Opposée à la criminalisation, Simone de Beauvoir a expliqué qu'on ne doit pas s'arrêter sur l'essence des personnes, mais plutôt sur les conditions actuelles dans lesquelles elles vivent. Elle revendique aussi le droit aux femmes de travailler en toute liberté.

Il est regrettable qu'on retienne seulement la parole des femmes qui se disent victimes du système prostitutionnel et qu'ainsi toute personne voulant rester dans la prostitution et lutter pour changer les conditions de travail des TDS est exclue des discours et considérée comme une aliénée.

Pour justifier la criminalisation, on prétend malhonnêtement que les personnes qui exercent le travail du sexe sont toutes des victimes impuissantes qui ont besoin d'être sauvées, discréditant ainsi leur capacité d'agir et les réduisant au silence.

Si la loi française contient des mesures encourageantes, comme l'abolition du délit de racolage, des mesures d'accompagnement social pour celles qui veulent quitter la prostitution et un amendement aggravant les sanctions en cas de violences et d'agressions sexuelles envers les TDS, il apparaît que la mesure phare de la nouvelle loi, soit celle qui punit l'achat d'actes sexuels, est particulièrement pernicieuse. Elle ne fera que nuire considérablement à la santé, sécurité et dignité de tous les TDS du pays.