Presque un quart de siècle après la tuerie à l'École Polytechnique, lors de laquelle un homme dérangé a pu abattre 14 jeunes femmes à l'aide d'une puissante carabine semi-automatique légalement acquise et de deux chargeurs de 30 balles, le bilan est désolant. Certes, la Cour suprême vient d'accepter d'entendre la cause du Québec pour l'obtention des données québécoises du registre fédéral des armes d'épaule, en vue d'instaurer son propre registre. Elle a également reconduit l'injonction protégeant les données et obligeant le fédéral à poursuivre l'enregistrement au Québec.

Mais parmi tous les récents développements en lien avec le contrôle des armes, cette décision représente la seule, et là, vraiment la seule, bonne nouvelle. À la grandeur du pays, le contrôle des armes s'est détérioré au point où celui-ci est plus faible qu'il ne l'était au moment de la tuerie en 1989.

Depuis son accession au pouvoir majoritaire en 2011, le Parti conservateur a affaibli ou éliminé chacun des trois piliers du contrôle des armes adoptés en 1995: un système de permis de possession renouvelables (analogue aux permis de conduire), l'enregistrement de toutes les armes (analogue aux plaques d'immatriculation) et l'interdiction des armes d'assaut (analogue à l'interdiction des chars d'assaut pour les citoyens ordinaires).

Les conservateurs ont rapidement adopté le projet de loi C-19 autorisant la destruction des données sur les sept millions d'armes d'épaule circulant au pays. Seules les données québécoises survivent et, ce, uniquement grâce aux efforts acharnés du gouvernement du Québec.

Peu après, l'obligation pour les marchands d'armes de tenir des registres de vente - obligation qui existait depuis 1977 - a également été éliminée, bien que ces derniers représentaient le principal outil des autorités pour empêcher le détournement illégal d'arsenaux commerciaux vers le marché noir. Alors que le dépistage des candidats pour les permis est préservé, une échappatoire insérée dans C-19 permet désormais aux gens malhonnêtes de contourner le processus de dépistage en entier, soit en éliminant la vérification systématique du permis lors des cessions d'armes d'épaule.

Enfin, c'est au fil des ans que l'interdiction des armes à caractère militaire a elle aussi été bousillée. Depuis son entrée en vigueur, le gouvernement Harper n'a jamais pris la peine de s'occuper de tous les nouveaux modèles introduits sur le marché. Par conséquent, de plus en plus de citoyens ordinaires possèdent des armes conçues pour tuer des humains, incluant de nombreuses armes catégorisées comme «non restreintes», c'est-à-dire qu'elles ne sont soumises à pratiquement aucun contrôle.

En ce 24e anniversaire de la tuerie à notre école, les témoins et familles des victimes de cette tragédie auraient bien aimé vouloir applaudir les plus récentes statistiques, notamment celles de la dernière année complète de mise en oeuvre de la loi dans son intégrité: selon Statistique Canada, 2011 affichait le «plus faible taux d'homicides commis à l'aide d'une arme à feu en près de 50 ans». Mais il est difficile d'applaudir ces résultats positifs alors qu'au lendemain de leur publication, le fédéral procédait au démantèlement systématique des mesures ayant mené à ceux-ci.

La décision de la Cour suprême confère au Québec la chance de maintenir cette tendance à la baisse. Mais grâce à la fidélité des conservateurs envers le lobby des armes, le reste du pays risque fort bien de s'éloigner de cette voie vers une société plus pacifique.