Quel soulagement, diront plusieurs, on aura enfin un pont de remplacement sur le Saint-Laurent en 2018 pour remédier aux problèmes du pont Champlain. Ne vous réjouissez pas trop vite, car le choix d'éliminer un possible concours d'architecture ouvre la voie toute grande à des abus.

Il confirme l'adhésion du gouvernement fédéral à un processus d'octroi de contrat opaque qui n'offre aucune garantie en terme de performance architecturale et ce, malgré les noms évoqués lors de l'annonce de dimanche. En clair, on exclut les architectes de la réflexion sur cet important projet, et on tente de nous faire croire que les ingénieurs pourront le faire beau malgré tout. Rien n'est moins certain.

Où est l'importance accordée au design quand le président de l'Ordre des ingénieurs argumente que tout ce qui compte c'est la«rapidité, la qualité et la sécurité» ? Il y avait pourtant dans la communauté d'aménagistes, d'architectes et de designers montréalais un important consensus pour demander au gouvernement la tenue d'un concours international de design.

En effet, ils sont 417 à avoir signé une déclaration commune envoyée au ministre Lebel affirmant que «seul un concours international d'architecture et d'ingénierie permettrait d'intégrer les meilleures pratiques de conception internationalement reconnues et de s'appuyer sur l'innovation afin d'ériger un pont du 21e siècle». Or, il est très il est clair que ce n'était pas dans les intentions du gouvernement Harper.

Est-ce qu'il y avait une vraie crise au pont Champlain? Certes, l'élimination de quelques voies a eu des conséquences sérieuses sur la circulation, mais la possibilité qu'une poutre du pont Champlain se fissure et qu'il faille intervenir était déjà prévue par les autorités et le plan d'intervention était prêt, comme on a pu le constater en fin de semaine dernière.

En annonçant sa décision d'opter pour un PPP, en éliminant la possibilité d'un concours au moment précis où l'on posait cette poutre, le gouvernement Harper a profité d'un prétexte pour tourner le dos aux professionnels du design et manipulé volontairement l'opinion publique pour justifier ce choix arbitraire. Vu la «bonne» nouvelle, qui ira aujourd'hui défendre ceux qui espéraient qu'il y ait un concours?

Même si les experts qui agiront comme consultants bénéficient d'une réputation enviable, leur contribution ne sera qu'à titre indicatif, dans la préparation de l'appel d'offres en PPP, et elle n'offre aucune garantie de succès en terme de qualité architecturale. 

Faut-il rappeler que l'un d'eux a eu un rôle similaire en amont du PPP pour le CHUM et le Centre de recherche du CHUM? Il faut voir les édifices qui sont en train d'être réalisés pour juger des limites de ce qu'un «scénario de référence» peut amener comme plus-value en terme de design. Seul un concours aurait pu donner son importance au design.

La seule garantie qu'on puisse tirer à ce moment de l'annonce du ministre Denis Lebel, c'est que le nouveau pont du Saint-Laurent sera sans doute une structure à haubans, à en juger par le domaine d'expertise de la firme de Poul Ove Jensen, Dissing et Weitling, l'architecte danois retenu pour établir les «directives architecturales». 

Est-ce en soi une garantie que son design sera réussi? Malheureusement non, car il existe à Montréal une preuve que le filtre d'un PPP peut transformer même un pont à haubans en ouvrage des plus banals: pensons au pont de l'A-25.