L'évolution des moeurs a ceci de fascinant qu'elle permet parfois des prises de conscience collectives sur des phénomènes qui, autrefois banalisés, s'avèrent lourds de conséquences et porteurs de douloureuses cicatrices pour ceux qui y sont confrontés.

Ainsi, l'intimidation a longtemps été perçue comme un passage obligé de l'enfance, une loterie où le tirage du mauvais numéro signifiait qu'il fallait serrer les poings, refouler ses larmes et marcher droit devant en attendant que les bourreaux trouvent un nouveau souffre-douleur.

Mais le passage obligé s'est transformé en mal de société quand les actes d'intimidation se sont multipliés, leur «créativité» s'est renouvelée et des victimes ont commis l'irréparable. L'ampleur du fléau nous prend maintenant tous un peu aux tripes, à l'instar des suicides commis par des jeunes pour qui la mort est devenue le seul remède à leur souffrance. Et, parmi nos angoisses parentales, se trouve assurément la crainte de voir nos enfants coincés dans ce cercle vicieux de violence psychologique.

La solution? Rien de simple, j'en ai peur. D'abord, la sensibilisation et la prévention. À ce titre, il faut saluer les incommensurables efforts de la Fondation Jasmin Roy, dont les capsules mises en ligne la semaine dernière mettant en vedette des personnalités québécoises qui dénoncent l'intimidation et témoignent de leur expérience. Par leurs parcours, leurs réalisations et leurs réussites, ces figures connues sont la preuve vivante qu'il est possible de survivre à l'intimidation. Il s'agit là d'un puissant message de ténacité, de confiance en soi et de résilience auquel on ne peut rester insensible.

Par ailleurs, au risque de répéter mon mantra personnel, l'exemple que nous offrons à nos enfants joue un rôle déterminant dans les comportements qu'ils adopteront envers autrui. Notre crédibilité de parents est en péril si nous sommes incapables de mettre nos enseignements en pratique et que nos gestes et paroles restent empreints d'intolérance, de menaces et d'agressivité. Nous oublions facilement que la prévention et la sensibilisation se passent d'abord entre les murs de notre maison.

Puis, parce que parfois, ce n'est qu'à coup de tapes sur les doigts que le message fait son chemin dans l'esprit humain, la répression semble incontournable. C'est ici que le projet de loi présenté le

20 novembre dernier par le ministre fédéral de la Justice, Peter MacKay, entre en scène. D'emblée, le gouvernement Harper donne l'impression de mettre beaucoup d'oeufs dans le panier de la cyberintimidation en modifiant plusieurs lois en apparence étrangères à la question. 

Mais j'ai envie de donner une chance au coureur, d'autant plus que ce projet de loi offre un certain mordant en prévoyant de nouveaux pouvoirs pour les policiers, une peine d'emprisonnement maximale de cinq ans et la possibilité pour une victime d'être dédommagée dans certaines circonstances.

Surtout, on reconnaît que la cyberintimidation n'est pas une arme exclusive aux jeunes et que des adultes en sont aussi victimes. La nouvelle disposition prohibant la transmission et la distribution d'images intimes d'une personne sans son consentement devrait réussir, une fois les promesses d'amour éternel révolues, à étouffer le désir de l'amant éconduit de diffuser des images sexuellement explicites de sa partenaire, croquées dans le feu de la passion. Les amoureux rancuniers devront donc trouver une autre façon de laver leur linge sale.

Avec l'émergence des nouvelles technologies, le légendaire coup de poing sur la gueule a gagné en subtilité et s'est modernisé. S'il ne se donne plus dans le fond d'une ruelle sombre, mais dans cet intangible univers qu'est le cyberespace et sous forme de propos haineux, harcelants et menaçants, ce n'est pas là une raison pour l'endosser. Heureusement, nous avons désormais en mains des outils pour le prévenir et le punir.