Il y a bientôt 50 ans, l'assassinat de John F. Kennedy jetait la planète dans la stupeur. Quelques mois auparavant, un autre chef d'État catholique avait trouvé la mort, moins violente celle-là: le pape Jean XXIII.

On pourrait croire que l'annonce de la canonisation prochaine du «bon pape Jean» constitue le parfait mémorial du cinquantième anniversaire de son «entrée dans la vie nouvelle». Cependant, si l'on considère la simplicité du personnage, on peut légitimement avancer que c'est bien davantage la dernière initiative du pape François qui lui rend le plus bel hommage.

En effet, François vient de charger les évêques du monde entier d'une vaste enquête auprès des catholiques à propos de la manière dont l'enseignement de l'Église est reçu et vécu au quotidien. L'initiative s'inscrit dans le prolongement de celle de Jean XXIII qui, soucieux de passer les préjugés ecclésiaux au crible de la réalité, consulta des personnes de divers horizons, catholiques ou non, en vue du concile Vatican II.

Que doit-on attendre de l'initiative actuelle, préambule à deux synodes prévus pour 2014 et 2015? Sûrement pas d'importantes mutations du contenu de l'enseignement de l'Église. Sa portée réelle réside dans un possible changement de style. Un changement du style avec lequel les autorités ecclésiastiques enseignent et gouvernent.

L'enseignement, d'abord. Daniel Bélanger le chantait sur son album Nous, et la popularité de François le prouve chaque jour: tout est dans la manière. Tant que l'Église ne dissipera pas l'impression qu'un écart volontaire par rapport à son enseignement moral équivaut à se mettre en «état de péché», elle n'aura qu'une incidence de plus en plus marginale sur la formation de la conscience des Occidentaux modernes, jaloux à juste titre de leur autonomie morale.

Le questionnaire envoyé par le Saint-Siège peut déboucher sur un style d'enseignement plus approprié, car il sonde en profondeur la réception de cet enseignement par les catholiques du monde entier. Il pourrait bien réussir à balayer quelques illusions sur l'efficacité des discours édifiants qui condamnent la contraception, le mariage homosexuel, les relations sexuelles prémaritales, etc. Lorsque 98% des femmes catholiques américaines âgées de 15 à 44 ans admettent, selon l'Institut Guttmacher, avoir déjà utilisé un moyen de contraception, ça doit vouloir dire quelque chose.

L'initiative du Vatican annonce peut-être aussi un changement de style dans la gouvernance. Certes, ce n'est pas la première consultation populaire à émaner du Saint-Siège depuis Vatican II. Mais cette fois, la volonté de la Tête vaticane d'écouter son corps ecclésial, de prendre son pouls avec attention, semble ferme. Comme l'écrivait récemment le vaticaniste américain John Allen Jr., la situation est surtout inédite en ce sens qu'on sent que sous le pontificat de François, on ne se limitera pas à poser des questions: on écoutera aussi les réponses.

Néanmoins, une consultation d'une telle ampleur exige la mise en place de moyens adéquats. À ce sujet, la Conférence des évêques catholiques du Canada aurait intérêt à imiter sa consoeur britannique, qui a mis en ligne un formulaire pouvant être rempli par tout citoyen. Car des rencontres ménagées dans les cadres paroissiaux et diocésains ne suffisent pas: bien des catholiques ne fréquentent pas leur paroisse.

Bien plus: comme Jean XXIII avait tendu l'oreille à l'extérieur des murs de l'Église pour prendre le pouls des relations entre celle-ci et le monde, les évêques canadiens auraient tout intérêt à favoriser la participation de tout citoyen, croyant ou non, intéressé à s'exprimer sur son rapport à l'enseignement de l'Église. On y entendrait des propos décapants, sans doute. Mais ne serait-ce pas là, justement, le meilleur détergent contre les illusions les plus tenaces?