Petit quiz: quel mot décrit le mieux les deux assertions suivantes:

«Le gouvernement a eu tellement raison qu'un vaste débat profond et démocratique, l'un des grands de notre histoire contemporaine, et presque sans dérapage, est toujours en cours (...) toutes ces discussions devraient amener au plus haut niveau de confiance rassembleuse». 

- Bernard Landry

«C'est bon si on veut que le Québec continue à être une société où il y a moins de criminalité qu'ailleurs». 

- Bernard Drainville

Alors? Pour rester poli, je propose le mot «idéologie». Au sens d'un discours découlant d'une idée tellement obsédante qu'elle empêche de voir la réalité avec clarté. En vérité, de grosses mailles affaiblissent aujourd'hui le tissu social. Et on est loin de la confiance rassembleuse. Puis qu'est-ce que la criminalité vient faire dans le débat?

Cependant, faire preuve d'idéologie, est-ce forcément répréhensible? Qu'on soit de gauche, de droite, fédéraliste, souverainiste, on n'échappe pas au fait d'interpréter le monde, de vouloir le modeler, à la lumière de nos options. C'est le cas a fortiori dans la sphère politique: pour convaincre de la valeur de notre conception du vivre-ensemble, il est nécessaire de présenter les faits sous un angle avantageux.

Inévitable, l'idéologie peut être souhaitable. Pour favoriser l'intégration de tous, un peuple doit pouvoir tirer de son passé et de ses aspirations présentes un récit identitaire et une «morale de l'histoire», c'est-à-dire des valeurs communes fondamentales.

Pour gouverner, l'État doit tenir compte de ce récit, de cette idéologie nationale. Certes, on ne veut pas que l'État nous dise comment vivre. Mais on ne veut pas non plus qu'il se contente d'organiser des réunions entre les plus puissants groupes d'intérêts privés. Ceux-ci gouverneraient alors de fait, en coulisses. Parfois, la conjoncture ou des menaces sérieuses exigent que le gouvernement fasse preuve de courage politique pour ancrer le présent et l'avenir dans le récit national.

Néanmoins, quand un gouvernement évoque la situation actuelle ou le récit identitaire en en gommant ou travestissant des parties essentielles, il devient idéologique dans un sens péjoratif. Au lieu de favoriser l'intégration, il aliène un peuple à lui-même.

La laïcité de l'État est-elle compromise, aujourd'hui, par les basses messes des groupes religieux? Les voiles et turbans menacent-ils nos sacro-saintes valeurs québécoises? Non. Sous couvert de courage politique, le gouvernement charge simplement à fond de train avec le panache orgueilleux que lui confèrent ses ambitions électorales.

Concernant les valeurs, le Parti québécois scande ad nauseam: égalité, neutralité, égalité, neutralité. Si on réussit à échapper à l'hypnose produite par ce mouvement de pendule, on s'aperçoit que gisent par terre d'autres valeurs tout aussi fondamentalement québécoises, et qui précisent le contenu des deux autres: la liberté et la tolérance, par exemple.

Ensuite, la charte est problématiquement idéologique en ce qu'elle tente de consacrer une version du récit national bien loin de faire consensus. La version de la Révolution tranquille qu'elle entérine est celle d'une marche à poursuivre coûte que coûte vers un républicanisme à la française. 

Or pour beaucoup, cette page cruciale de notre histoire nous parle bien plus du triomphe d'une revendication d'ouverture et de liberté. D'une possibilité de vivre en dehors des stéréotypes ruminés par un cléricalisme perdu dans son latin ou un imaginaire passéiste du terroir.

Ironiquement, le projet de loi 60 renoue avec l'idée, orgueilleuse, du modèle unique pour tous. Il nous fait respirer un air lourd de préjugés. Un air non purifié par ce vent de libéralisme ayant provoqué l'aube dorée de la fonction publique québécoise.