À l'été 2013, le projet de loi C-377 est devant le Sénat et fait face à une opposition grandissante qui retarde son adoption. Ce projet de loi veut obliger les syndicats à remettre annuellement un bilan financier à l'Agence canadienne du revenu. En retour, il est prévu que l'Agence publie cette information en ligne et la mette ainsi à la disposition du public.

La tournure des événements met en lumière l'incohérence de la position du NPD sur le Sénat - le parti demande en effet l'abolition de l'institution. Malgré son rôle de parti d'opposition officielle à la Chambre des communes, le NPD n'a eu aucune influence au moment de l'adoption du projet de loi. À l'opposé, les sénateurs insatisfaits du projet de loi ont au moins réussi à ralentir son approbation en demandant la tenue d'audiences et en obtenant des amendements, entraînant ainsi son retour en Chambre pour une nouvelle ronde de discussions. Sans l'opposition du Sénat, la plupart des Canadiens n'auraient jamais eu vent de l'existence même du projet de loi, sans parler de ses ramifications pour les syndicats partout au pays.

Le NPD est seul à défendre la position intransigeante qui consiste à demander l'abolition pure et simple du Sénat. En supposant que ce soit possible, des questions nous viennent immédiatement à l'esprit. Que ferait le gouvernement fédéral s'il n'y avait plus de Sénat? Que ferait le Parlement sans Sénat? Et est-ce que cela aurait de l'importance?

Sans Sénat, le Parlement perd la fonction de second regard objectif («sober second thought»). Étant donné l'utilité de cette fonction, il convient de se demander s'il est possible de s'en prévaloir autrement. Par exemple, la fonction publique fédérale pourrait-elle exercer ce second regard objectif? 

La réponse est un non retentissant. En théorie, la fonction publique a une certaine indépendance par rapport au gouvernement du jour, mais pas le type d'indépendance qu'exige la fonction de second regard objectif. Le traitement accordé par le Sénat aux projets de loi du gouvernement sur la réforme du Sénat est un parfait exemple. 

Le Sénat a pu en effet tenir des audiences sur certains de ces projets de loi et chercher à obtenir l'opinion d'experts de tous les coins du pays. Certains de ces experts estimaient que le gouvernement pouvait agir selon son bon vouloir, d'autres étaient de l'avis contraire. 

De telles audiences exercent une importante fonction d'éducation publique, l'une des fonctions les plus importantes qui soient confiées au Parlement. Lors de ces audiences, le public à l'écoute a pu prendre connaissance des questions d'ordre constitutionnel que risque de soulever le projet de réforme du Sénat mis de l'avant par le gouvernement. Les choses ont ralenti, du temps s'est écoulé, et le pays attend maintenant l'opinion de la Cour suprême. Voilà un bel exemple de second regard objectif s'il en est un.

Est-ce que tout cela a de l'importance? Bien entendu! Si le Sénat était aboli, le Canada se retrouverait avec un Parlement monocaméral. Ce ne serait plus le Parlement d'une fédération, mais un parlement sans représentation provinciale ou territoriale officiellement intégrée à ses institutions. Il s'agirait là d'une première étape vers la désintégration des institutions, le contraire de la cohésion. 

Étant donné que le NPD (contrairement à son prédécesseur, le CCF) n'a pas de motifs anticapitalistes sur lesquels faire reposer son plan pour l'abolition du Sénat, il n'a pas vraiment d'autre motif valable. Sa position est irresponsable, tant sur le plan institutionnel que constitutionnel.

C'est plutôt la possibilité d'une réforme du Sénat qui représente un véritable risque pour le NPD. S'il devait un jour y avoir un consensus autour de la réforme du Sénat, alors le NPD serait exclu du débat. Il n'aurait plus rien à apporter à la discussion.