J'ai toujours pensé savoir qui j'étais. Je suis francophone, mais parfaitement bilingue. Je viens d'une bonne famille, j'ai été aux bonnes écoles (en français), j'ai un bon emploi. Je suis pas mal libérale, ouverte d'esprit, des fois à gauche, des fois à droite. Je suis passionnée de politique municipale, provinciale et fédérale. Je suis féministe à mes heures. Montréalaise avant tout, Québécoise, Canadienne. C'est moi.

Mais tout a changé le 9 juillet 2012.

C'est à cette date que je suis partie à la conquête de l'Île-du-Prince-Édouard. J'y suis déménagée pour le travail, en laissant à Montréal ma famille et mes amis. Au début, je pensais que je m'exilais. Mais je me suis dit: ce n'est pas si mal l'Île-du-Prince-Édouard. J'y avais déjà passé de superbes vacances, les gens sont gentils, il y a plein de fruits de mer, les pommes de terre sont les meilleures du monde, c'est le paradis du golf, les plages sont magnifiques, et cetera. Génial. Tout ça, c'est vrai. J'adore l'Île-du-Prince-Édouard.

Mais ça change une vie, l'Île-du-Prince-Édouard.

Depuis que je suis ici, je travaille en anglais. Je vis ma vie en anglais. Je déconne en anglais. Et ce n'est pas nouveau, je faisais ça à Montréal aussi. Sauf qu'avant de partir, je parlais français tous les jours. Au magasin, à la maison, au restaurant. J'étais confortable dans cet univers bilingue, mais je n'y avais jamais vraiment porté attention. Si on me l'avait dit, je ne l'aurais jamais cru: j'allais finir par m'ennuyer du français.

Mais «le remède à l'ennui est la curiosité» (Dorothy Parker). J'ai donc fini par sortir de ma bulle prince-édouardienne et me suis décidée à essayer de vivre en français ici aussi, même s'il me fallait aller à Dieppe, au Nouveau-Brunswick, pour le faire. Je n'ai pas été obligée d'aller aussi loin. Comme bien d'autres, j'avais des préjugés sur le «ROC» (Rest of Canada): personne ne parle français, ils se foutent du français, il y a juste au Québec qu'on parle français.

Qu'est-ce que j'avais tort! Récemment, tout a changé pour moi. Quand on ouvre les yeux, on voit. Le français, les francophones, y'en a tout plein à l'Île-du-Prince-Édouard.

J'ai découvert que les services provinciaux sont bilingues.

J'ai remarqué que les affichages sont souvent bilingues (et le sont toujours dans les cas des panneaux de signalisation et des noms de rue).

J'ai découvert les communautés francophones acadiennes de Tignish, Rustico, Évangéline, pour ne nommer que celles-là.

J'ai découvert Radio-Canada Première Chaîne pour les provinces atlantiques.

J'ai découvert La Voix acadienne, le journal en français de la région.

J'ai découvert que l'immersion française à l'école, c'est normal, tout le monde fait ça.

Mais surtout, j'ai découvert que dès que les gens apprennent que je parle français et que je viens du Québec, ils veulent absolument me parler en français. Ils sont fiers d'être capables de le faire. Et ils veulent entendre parler du Québec.

Donc, c'est vrai que ça change une vie d'habiter à l'Île-du-Prince-Édouard, mais pas du tout comme on s'y attendrait. La vie est différente ici, ça, il n'y a pas de doute. Mais le changement, c'est aussi quand on découvre que, ailleurs qu'au Québec, c'est important d'être bilingue. De conserver cette culture française. De la transmettre. De la redécouvrir vue par les autres.

Et ça, je serai éternellement reconnaissante de l'avoir appris. Je sais qui je suis: je suis Canadienne francophone et bilingue. Point. Et je ne suis pas la seule.