Madame la première ministre Marois,

Madame la première ministre Marois,

Nous, cosignataires, sommes des femmes féministes issues de communautés religieuses et non religieuses. Certaines d'entre nous sont pasteures, prêtres et rabbins, d'autres sont des femmes musulmanes qui portent ou non le hijab. Certaines encore se considèrent athées, agnostiques ou laïques.

Nous sommes conscientes des batailles difficiles que mènent actuellement les femmes de partout dans le monde pour établir leur juste place au sein d'une société plus égalitaire. Nous sommes pleines d'empathie pour toutes ces femmes qui ont souffert à cause des inégalités vécues dans leur église, leur synagogue ou leur mosquée, mais nous sommes heureuses de dire qu'on a fait beaucoup de chemin, comme en témoignent les membres féminins du clergé et les dirigeantes laïques qui sont parmi nous.

Nous soutenons le droit des femmes à choisir pour elles-mêmes, surtout quand il s'agit de la maîtrise de leur corps. Nous applaudissons les avancées qui ont été faites dans les années 1960 en matière de liberté et n'avons aucun désir de revenir en arrière. Pour ces raisons, nous ne pouvons pas soutenir l'interdiction de l'expression religieuse individuelle que propose la charte de la laïcité.

Depuis ses débuts, le débat autour de la charte a clairement ciblé les femmes musulmanes. Nous y voyons une injustice. En légiférant sur le droit d'une femme à s'habiller selon ce que lui dicte sa conscience, vous la privez du droit fondamental de contrôler son propre corps. En la forçant à choisir entre son travail et sa foi, vous vous assurez qu'elle soit marginalisée et non libérée. En outre, loin d'assurer l'égalité entre les sexes, l'interdiction des signes religieux ostentatoires privilégie les hommes musulmans par rapport aux femmes musulmanes, alors qu'elle accorde plus de privilèges aux femmes sikhes qu'aux hommes sikhs. Ce ne sont que des exemples.

Pour faire suite à votre argument selon lequel l'interdiction du hijab libérera les femmes qui sont dominées par les hommes, ne devrions-nous pas aussi interdire les mini-jupes, les implants mammaires et les talons hauts? D'après notre expérience, changer la façon dont une femme s'habille n'est pas la clé vers son émancipation. Au contraire, de nombreuses études démontrent que les sociétés vont mieux lorsque les femmes ont un accès égal à l'éducation, à l'expression publique et à l'emploi. Or, votre interdiction compromettrait cet accès pour les femmes que vous cherchez prétendument à aider. Ce serait un recul triste et malheureux.

En tant que femmes issues de traditions diverses, nous savons qu'il y a encore beaucoup de batailles à mener pour assurer à toutes les femmes un avenir exempt de violence conjugale et l'accès à tout ce qu'une société libre comme le Québec peut offrir. Nous savons aussi que l'injustice, l'inégalité et la violence se retrouvent dans toutes les cultures. Ce sont là les vrais enjeux à aborder.

En tant que femmes du Québec, nous avons beaucoup à offrir à notre société, indépendamment de la façon dont nous nous habillons. Nous vous intimons de retirer votre proposition d'interdire les symboles religieux dans les secteurs public et parapublic, et vous demandons de nous rencontrer de toute urgence pour discuter de la véritable situation des femmes d'ici.

Vous pourrez lire la liste de 70 autres signataires de cette lettre à l'adresse: 

www.croire-en-la-femme.org