Le paragraphe d'introduction sur le site Web du fabricant des cigarettes les plus vendues au pays maintient que sa mission consiste à se «tailler une part de marché intéressante dans tout segment où nous sommes présents en répondant aux préférences des fumeurs adultes mieux que ne le fait la concurrence. Ceci sera fait de manière rentable, socialement responsable, durable et qui créera de la valeur pour la compagnie.»

Dans un monde idéal, ces propos provoqueraient d'irrésistibles rires accompagnés de sévères condamnations publiques, compte tenu des montagnes de preuves irréfutables détaillant des décennies de marketing visant les jeunes ainsi que la suppression de la recherche scientifique visant à nier la dépendance et la nocivité du tabac. 

Or, les fabricants du tabac continuent d'opérer dans un environnement législatif qui leur permet d'introduire des produits toujours plus captivants et appétissants pour nos ados. En effet, des marques et produits qui n'existaient même pas au début des années 2000 figurent aujourd'hui parmi les produits de tabac les plus populaires chez les jeunes!

L'exemple le plus percutant est le petit cigarillo aromatisé - ni plus ni moins qu'une cigarette brune à la fraise ou à la vanille - qui est apparu sur le marché au milieu des années 2000 et qui se vendait à l'unité ou en petite quantité dans de jolis emballages sans mises en garde. Quatre années après leur introduction, ces produits dépassent en popularité la cigarette conventionnelle auprès des élèves du secondaire.

Le résultat? Un taux de tabagisme qui stagne autour de 24% depuis 2006. L'industrie du tabac parvient à remplacer chaque client qui meure ou qui arrête avec un nouveau jeune fumeur qui sera esclave de la nicotine pendant en moyenne 20 ans et qui aura une chance sur deux d'en mourir prématurément.

Et face à cette catastrophe de santé publique, que font nos élus?

La révision de la Loi sur le tabac se fait attendre depuis octobre 2010, alors qu'un rapport faisant le bilan des cinq dernières années d'application a été déposé à l'Assemblée nationale.

Entre 2008 et 2012, l'ancien ministre de la Santé, le Dr Yves Bolduc, s'est dit «très ouvert à revoir la loi» mais il voulait «d'abord attendre le rapport de la Commission de la santé et des services sociaux». Or, au moment où il affichait sa volonté de consulter la Commission, il était déjà trop tard: son gouvernement déclenchait des élections provinciales quatre semaines plus tard.

Récemment, l'actuel titulaire du portefeuille de la Santé, le Dr Réjean Hébert, disait également vouloir agir sur ce dossier, mais lui aussi préfère attendre l'avis de la même commission parlementaire.

Un premier obstacle était franchi à la fin août, alors que les membres de la commission ont finalement tenu des audiences sur la question. Cependant, onze semaines se sont écoulées et les recommandations au ministre se font toujours attendre.

Maintenant, face à ce retard, le ministre Hébert a indiqué qu'il reportera entièrement le dossier de la révision de la loi en 2014, sans même être en mesure d'être plus précis quant à son échéancier.

En somme, la lutte antitabac se retrouve dans la même situation qu'à l'habitude, c'est-à-dire en arrière-plan, délaissée par les politiciens pour faire place à d'autres priorités plus immédiates.