IRAK, Kurdistan autonome - Les Kurdes n'ont pas de pays. Ils vivent dispersés entre l'Iran, la Syrie, la Turquie et l'Irak. En 1991, après des années d'oppression et des milliers de morts sous le régime de Saddam Hussein, les Kurdes irakiens obtiennent une autonomie historique dans le nord du pays. C'est de cet appel d'air qu'émerge le Festival de films de Duhok, où j'accompagne mon film Inch'Allah.

La ville semble être en éveil. On étire vers le ciel de nouvelles bâtisses qui sauront abriter de nouvelles âmes. Âmes prospères de l'or noir ou âmes écorchées des réfugiés qui déboulent de Syrie. Ici, on cohabite. Tout le monde a saigné, tout le monde a pleuré. Maintenant ça suffit. On avance ensemble, toutes blessures confondues.

Autour de Duhok, des milliers de tentes érigées depuis un peu plus d'un an. Le camp de Domis regroupe autour de 115 000 réfugiés.

Dans la rue principale du camp, qu'on appelle la rue Paris (avec ses trois lampadaires, elle est la seule rue éclairée): des tas de vêtements empilés, un four à pain, un coiffeur, un étalage de télés HD...

Le paradoxe du réfugié: s'installer confortablement sans surtout s'enraciner. Se faire croire qu'on est chez nous mais ne pas s'attacher. Préserver le rêve d'un jour partir.

Un homme s'approche de nous. Il nous montre son pied, atrophié. Il arrive d'Alep. Il n'a pas de tente dans le camp: il est arrivé après la grande vague du printemps et le camp était plein. Sa femme, ses quatre filles le rejoignent. Pas de coupons pour la nourriture non plus. Celui-là ne peut pas se réfugier chez les réfugiés.

Au détour d'un chemin de terre, ruelle de l'artère Paris, une femme nous sourit. Elle est arrivée au camp il y a plusieurs mois, après que ses voisins aient été torturés, puis tués. «On leur a arraché les yeux», souffle-t-elle.

Ses fils s'accrochent à sa robe léopard. Ils ont encore peur.

Son mari sort de la maison, poussant une brouette chargée de pots de yaourt qu'il part vendre à la criée.

Elle me fait entrer dans sa tente, où repose un jeune enfant attaché dans un berceau de fortune. Dans mes rudiments d'arabe, je lui demande ce qu'il a. Problème aux poumons. Il faut le soigner avant la neige.

La neige. Qui recouvrira les tentes et les chemins de terre. Une saison nouvelle à Domis. Quelques racines en plus qui perceront le sol gelé d'un camp de réfugiés.

Devant sa tente, une longue jeune fille étend du linge. Un diamant brut. Rayonnante, ses gestes ont la grâce et la légèreté des possibles. Elle me sourit.

Est-elle venue ici avec sa famille? Oui, avec ses parents.

Non, elle n'a pas d'enfants. Elle rit.

Puis elle me prend par la main et me conduit au bout de son chemin de terre. Là, érigé entre deux toiles jaunies portant le sigle de l'ONU, protégé par une ligne de barbelés: un étalage de robes de mariées. Immaculées. Attendant leur tour derrière une vitrine soigneusement nettoyée.

La jeune fille les contemple, rêveuse.

Est-ce qu'elle va se marier ici?

Une onde de tristesse traverse son visage lisse et je m'en veux.

-...C'est Bachar qui décide.

Elle me salue timidement et s'éloigne le pas dansant vers Paris, où s'enfilent des centaines de corps espérant leurs coupons papier pour pouvoir manger.

De retour à Duhok, l'ambiance est à la fête. C'est l'Eid. L'équivalent du Nouvel an.

Je sais que tous ceux qui dansent ont perdu un proche. Un enfant, un parent, un ami.

Je comprends aussi que c'est pour ça qu'ils dansent.