Je m'appelle Catherine Kozminski-Martin et je suis une «Québécoise de souche», une «pure laine de demain», comme dirait Boucar Diouf. Je suis née à Saint-Eustache, j'ai habité près de la réserve de Kanesatake, à Oka, où mon père a bâti une maison en arrivant au Québec, j'ai grandi à Longueuil, je travaille en milieu anglophone à Saint-Lambert, où j'enseigne le français, et je vis à Boucherville.

Quand j'étais petite, j'ai vu des gens se moquer de mon frère qui avait hérité de l'accent français de mon père. Je me suis juré d'être la plus «Québécoise des Québécoises», la plus «Française des Canadiennes françaises de l'Amérique du Nord francophone», dixit ce cher Elvis.

Mais ce n'était pas assez. Je voulais tellement qu'on m'accepte, je ne comprenais pas ce qui clochait avec moi qui, pourtant, n'arborais aucun signe ostentatoire que ce soit, sauf un nom de famille peu commun à l'époque, en banlieue de Montréal. Combien de fois m'a-t-on dit d'aller faire du «ski», combien de fois m'a-t-on demandé où j'étais née? De quelle religion je faisais partie? L'être humain possède cet étonnant réflexe de vouloir tout classifier, de faire partie d'une catégorie à tout prix.

Un jour, quand on m'a fait comprendre que je ne faisais pas vraiment partie des «Québécois de souche», parce que mon père n'était pas né ici (ma mère est francophone, mais ça ne compte pas!), ça m'a fait mal. Quand j'ai appris que mon père voulait que nous changions de nom pour «K.-Martin» afin que l'on ne souffre pas de racisme comme ce fut son cas, j'ai eu le coeur brisé. Je ne porte pas de voile, je suis blanche comme un drap, je n'ai pas de croix autour du cou et mon père, qui a perdu son propre père dans les camps d'extermination nazis, est le plus laïc des laïcs.

Chez nous, on est à la fois musulman, catholique, bouddhiste, juif, hindou et j'en passe. Exit, le dogmatisme! «Chez nous, c'est chez vous. On entre, on se tire une bûche, on discute», comme dirait mon père. L'important, m'a-t-il toujours dit, c'est de se respecter les uns les autres et de ne pas sombrer dans la recherche innocente d'un bouc émissaire pour assouvir nos puériles frustrations. Le débat portant sur la charte va donc au-delà même du port du voile, mais porte davantage sur la menace qu'incarne l'Autre, peu importe de «quelle souche» il provient. D'ailleurs, Sartre ne disait-il pas que «l'enfer, c'est les autres» ?

Enfin, quand je me trouve devant mes étudiants québécois qui proviennent des quatre coins du monde, voilés, non-voilés, juifs, musulmans, hindous, catholiques, laïcs, tout sauf stoïques, assis les uns à côté des autres, lisant tous ensemble L'Enfant de Noé d'Éric-Emmanuel Schmitt, je me console en me disant que l'intolérance naît souvent de l'ignorance, de la peur de la différence, de ce qu'on ne connaît pas, finalement.

Alors, je vous ouvre toute grande la porte de ma classe, microcosme de notre société, et vous invite à y entrer. Vous verrez que plus on est de fous, plus on rit.