Depuis une semaine, environ 820 000 fonctionnaires fédéraux américains sont en congé forcé. Cette situation s'explique par le refus des républicains à la Chambre des représentants de laisser le fédéral financer la réforme du système de santé du président, l'«Obamacare».

Ce comportement contredit ce que la majorité des Américains pense, rejette le processus institutionnel ayant permis sa mise en application, rejette la décision de la Cour suprême ainsi que la réélection du président. Vue d'ici, la situation est difficile à expliquer. Comment un parti politique qui n'est pas au pouvoir peut-il bloquer l'appareil gouvernemental d'un pays?

Cette énigme s'explique par une transformation radicale des partis aux États-Unis au cours des 30 dernières années et initiée par le Parti républicain à la fin des années 1970.

La première phase de la transformation a porté sur le message. Les républicains ont adopté un agenda résolument conservateur, tant en terme de valeurs sociales que de politiques économiques. Afin de briser la coalition démocrate issue du New Deal, les républicains ont joué la carte des valeurs traditionnelles en mettant l'accent sur les «wedge issues», des questions qui comme l'avortement, forcent les gens à se positionner pour ou contre.

En parallèle, les républicains et leurs alliés conservateurs utilisent une rhétorique populiste présentant les démocrates en diplômés méprisant la base de la société. Suivant cette rhétorique, ils courtisent les groupes défavorisés à des fins électorales au détriment de la classe moyenne blanche.

Ce discours a créé une coalition politique dont les objectifs sont contradictoires. Les questions morales associent les cols bleus du Midwest et du Sud aux grands intérêts industriels et financiers alors que ces derniers exportent les emplois des premiers à l'étranger grâce aux politiques des républicains. À cet égard, le discours moral masque les conflits de classes aux États-Unis et permet des alliances contre nature.

Ce discours est accompagné par une centralisation du pouvoir dans le Parti républicain afin d'assurer des résultats législatifs à ceux qui financent le parti. La centralisation est le fait d'une nouvelle génération de «power brokers», de gens comme les frères David et Charles Koch qui ont un réseau d'influence tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du parti. 

Grâce à leur réseau, ceux-ci contrôlent à la fois la collecte et la distribution des ressources du parti, processus facilité par le chevauchement de la frontière séparant lobbyistes, commentateurs et politiciens. À l'intérieur du parti, ils identifient les causes et concentrent les ressources afin d'imposer leur agenda législatif ou, au minimum, bloquer l'adversaire, ce qui provoque des crises à répétition, notamment sur les questions budgétaires.

L'objectif est de garantir des votes aux lobbyistes et ainsi augmenter la valeur du parti. Puisque les causes ne suivent pas nécessairement les intérêts des électeurs républicains, les power brokers garantissent aux élus fidèles le support électoral nécessaire.

Si cette carotte ne suffit pas, le parti punit les récalcitrants de deux façons. Il coupe tout d'abord les ressources ou encore présente un candidat docile et plus à droite aux primaires suivante, d'où l'expression «We'll primary you!». Ce procédé explique la montée du Tea Party ainsi que l'impossibilité de négocier une sortie de crise, toute collaboration étant vue comme une trahison.

Une organisation qui applique la ligne de parti est la norme au Canada. Aux États-Unis, le système politique fédéral force le compromis et donc tout projet de loi - pensons au budget -, peut être bloqué. Cependant, à l'intérieur même du Parti républicain, de fortes tensions entre l'establishment et les radicaux font apparaître des fissures dans leur fragile coalition.