La Charte des valeurs québécoises proposée par le gouvernement Marois prétend dénouer une crise. Selon notre première ministre, le multiculturalisme aurait conduit à des attentats à la bombe en Grande-Bretagne. Les propos du ministre Bernard Drainville suggèrent que la société québécoise est déchirée par les différences religieuses et culturelles.

En vertu de la charte, l'interdiction des «signes religieux ostentatoires» toucherait directement les minorités religieuses comme les Juifs, établis au Québec depuis des centaines d'années. Toutefois, la principale source d'inquiétude concerne les musulmans (hijab, niqab), les sikhs (turban), ainsi que les pratiquants d'autres religions non occidentales. Au Québec, ce sont surtout les immigrants et leur famille qui pratiquent ces religions.

À travers la Charte des valeurs québécoises, le gouvernement Marois nous dit que la menace présentée par les immigrants et les valeurs «indésirables» qu'ils véhiculent est si extrême qu'elle oblige les fonctionnaires de l'État à restreindre grandement leur liberté d'expression. Cependant, les recherches que nous avons menées sur les programmes multiculturels fédéraux et québécois ne révèlent aucune «crise». Les immigrants ne demandent qu'à participer à la vie économique, politique et sociale ici, et à adopter les «valeurs québécoises», même si cela ne se traduit pas nécessairement par l'adoption d'un code vestimentaire laïque.

Le «multiculturalisme» est une politique officielle instaurée au Canada depuis plus de 40 ans, mais sa définition a beaucoup changé au fil du temps. Depuis le début des années 2000, les fonds multiculturels du fédéral et du Québec sont presque tous octroyés à des organismes offrant des services aux immigrants, qui viennent en aide à des nouveaux venus d'origines très diverses, et encouragent donc leur intégration plutôt que leur isolement. Ces groupes aident les arrivants à prendre place dans la société québécoise par des cours de langue, des conseils sur la recherche d'emploi et le placement, ainsi que l'éducation civique.

Une grande partie de la clientèle de ces organismes se compose d'immigrants d'Afrique du Nord et d'Asie du Sud-Ouest qui sont de religion islamique, sikhe, baha'ie ou d'une autre confession avec laquelle de nombreux Québécois ne sont pas familiers. En fait, cette incarnation du «multiculturalisme» a plutôt contribué à transmettre les «valeurs québécoises» auprès de ces groupes au cours de la dernière décennie. Les groupes de «nouveaux immigrants» ne reçoivent pas et ne recevront probablement jamais le genre de soutien gouvernemental fondé sur l'ethnicité qu'ont offert par le passé les modèles antérieurs du multiculturalisme.

Les nouveaux immigrants n'ont d'ailleurs jamais demandé un tel soutien. Les entretiens réalisés dans le cadre de nos recherches ont révélé que dans la plupart des cas, les immigrants adhèrent avec enthousiasme à une pleine participation à la société québécoise. Un immigrant nous a dit «vous devez souscrire aux valeurs du pays qui vous accueille. Il y a des points sur lesquels nous sommes d'accord: l'amour de la famille, les enfants, l'éducation, le respect des valeurs démocratiques. Certains pays n'adoptent pas ces valeurs et vivre ici, c'est accepter ces valeurs démocratiques.»

Les interviewés exprimaient souvent le désir de mieux parler français, d'avoir davantage accès à des possibilités d'emploi et de prendre part à la vie politique et sociale de leur nouvelle patrie. Parmi les critères qui les attirent au Québec, les nouveaux immigrants mentionnent entre autres le système politique et économique ouvert et, oui, l'égalité des hommes et des femmes. Habituellement, les immigrants choisissent le Québec justement parce qu'ils recherchent les conditions de vie propres à une société ouverte et laïque, et veulent fuir un pays qui approuve un symbole religieux pour en interdire un autre.

Le Québec est une société diversifiée. Nos citoyens ont diverses origines, différentes couleurs de peau et différentes pratiques religieuses, voire aucune. Les «valeurs» qu'il vaut la peine d'appuyer reconnaissent et célèbrent ces différences et protègent la liberté d'expression et de religion. Interdire certains signes religieux n'est pas un synonyme de laïcité ni de neutralité. Cela va à l'encontre des valeurs que chérissent, à tout le moins, nos immigrants.