Naïla, je t'ai connue toute petite. J'ai rencontré ta mère dans un parc de mon quartier et j'avais moi-même un garçon de ton âge. Ta mère, comme pouvait le laisser deviner son voile, venait d'Afrique du Nord. Nous avons sympathisé et nous nous sommes revues. Malgré les déménagements, nous sommes restées en contact. J'ai toujours aimé la chaleur de ta mère, j'appréciais et j'apprécie toujours son regard positif sur la société d'accueil.

Je t'ai vue grandir, fréquenter l'école publique, devenir une jeune fille et dans le secret de mon coeur, j'espérais que tu ferais le choix de rester telle que tu es sans avoir besoin de «prendre le voile».

Et puis l'autre matin, nous étions dans le même grand magasin. Tu étais accompagnée d'une autre jeune femme. Je ne t'ai pas reconnue tout de suite, mais mon attention a été attirée par un air familier. Je me suis questionnée, et sous ton voile, je t'ai reconnue. Je crois que tu m'as vue aussi, mais tu as gardé tes distances.

J'étais mal à l'aise, autant par ce voile que par le fait de ne pas sentir en moi cet élan qui nous porte à saluer un ami ou une amie croisée de manière inattendue. J'ai quand même voulu aller à ta rencontre, mais mon fils de ton âge, présent à mes côtés, m'a retenu par le bras. Il était lui aussi mal à l'aise.

Nous avons raté notre rencontre à cause de ce voile, ou tout au moins, ce nouveau voile que tu portes et qui te dissimule en partie, n'a pas favorisé notre rencontre.

Cette journée de septembre, j'ai ressenti physiquement combien le voile tendait à créer une distance et tendait à signifier un repli.

Avec ce projet de charte des valeurs, je pense à toutes ces jeunes filles comme toi qui, à un moment de leur adolescence, auront à faire un choix. Je crois que la société d'accueil est concernée par ce choix qui, en plus d'avoir un sens religieux, a une incidence sur les rapports humains. Il est donc légitime que notre société énonce clairement ses principes fondamentaux et légifère dans l'espace du service public.

Selon le choix que vous ferez, vous ouvrirez ou fermerez des portes devant vous. Tu as encore du temps pour y penser.