Depuis quelque temps, le débat sur le projet de charte des valeurs a été transporté là où ses opposants le voulaient: sur le hijab. Pourtant, ce projet ne fait rien de plus que de baliser les rapports entre la religion et les institutions publiques, quoi qu'en disent ses détracteurs.

Le hijab est mis en vedette pour mieux charger le projet de charte d'une prétendue islamophobie. On balaie ainsi sous le tapis les vives réactions causées par le kirpan à l'école, le turban au soccer, les congés religieux supplémentaires dans une commission scolaire et la réorganisation du calendrier scolaire de toute la province pour accommoder six écoles juives orthodoxes, révélée par les médias il y a trois ans et demi à peine.

En quoi le port de signes religieux compromet-il la neutralité de la fonction publique? En ceci: il élève la religion au-dessus des autres idéologies, lesquelles n'ont pas ce privilège de pouvoir être exprimées par un fonctionnaire.

Voilà déjà plusieurs années que les accommodements et le port de signes religieux à l'école, au travail et dans les établissements publics nous martèlent la principale leçon du multiculturalisme: la liberté de religion trône au-dessus de tous les autres droits. Cette première règle en cache en réalité une autre: la collectivité n'existe pas, seul l'individu-roi existe, et il existe encore plus s'il a des revendications religieuses à faire valoir.

Tout se trouve dans l'interprétation qu'on veut bien faire de la «liberté de religion» et «de manifester sa religion». A priori, ces libertés ont été formulées pour éviter les massacres et les expulsions pour motif religieux, ainsi que pour permettre au croyant de pratiquer sa religion en toute sécurité. Le multiculturalisme a transformé ces libertés de manière à ce que le croyant puisse maintenant faire porter le poids de sa pratique à son école, à son employeur, à l'administration publique et aux autres citoyens. Au diable les règles communes, les codes vestimentaires et surtout l'équité entre citoyens. Et bonjour les casse-tête administratifs pour les gestionnaires.

Le projet de charte ne réglera pas tout; toutefois, il enverra enfin le message tant souhaité que la religion n'est pas au-dessus des lois, ni de la collectivité. Essentiellement, le croyant doit assumer ses pratiques seul ou en association avec d'autres adeptes. La neutralité religieuse exigée des fonctionnaires fait partie de ce message, qui serait parfait si on pouvait enfin décrocher ce crucifix anachronique de l'Assemblée nationale.

Pour les accommodements, les balises proposées par le projet de charte font l'unanimité dans tous les partis. Quant aux signes religieux, ils seraient interdits aux fonctionnaires, comme le sont déjà les signes politiques et idéologiques. Et que personne ne prétende qu'on veuille dépouiller qui que ce soit de sa foi: la pratique religieuse s'accomplit très bien hors du travail.

S'il y a vraiment si peu de fonctionnaires qui portent actuellement un signe religieux, alors raison de plus pour ne pas attendre, quitte à leur accorder une clause de droits acquis pour leur éviter un dilemme épineux.

Pourquoi faut-il prouver qu'il y a urgence? Nul besoin d'une urgence, il suffit de faire valoir le principe d'égalité, et surtout d'égalité entre les libertés. Et si la Cour suprême est incapable de le comprendre, alors il est plus que temps de jeter à la poubelle ce multiculturalisme porteur de dissensions qui, loin de rendre les citoyens égaux, a surtout permis à certains de se faire plus égaux que d'autres.