«Ils» rejettent «nos» valeurs. «Nous» sommes trop tolérants. «Ils» nous imposent leur mode de vie. Ces phrases, et d'autres du genre, ne sont plus rares.

Je ne me sens pourtant pas un «eux» ou un «ils». Je demeure au Québec depuis de nombreuses années, comme des dizaines de milliers d'immigrants, et je me sens un «nous» aussi.

Il y a une réalité de musulmans québécois, et même de souche québécoise ancienne, qu'on le veuille ou non. Et ces musulmans québécois veulent faire partie de la réalité positive de cette société. Ils veulent exister. Ils ne peuvent pas se faire oublier. Ils ne peuvent pas juste accepter les choses décidées par une «majorité», de religion différente ou sans religion, ou «rentrer chez eux».

Nous n'avons pas un autre chez nous. Nous sommes chez nous, à relever les mêmes défis et à supporter les mêmes fardeaux. À être fier du Canadien de Montréal, à regarder l'émission La Voix et à contribuer à faire de la météo le sujet le plus partagé. Le paysage québécois a changé de ce point de vue et la réalité ne se conjugue plus qu'à une seule personne, le «nous» inclusif.

Je suis furieux de voir que l'on parle de moi comme si j'étais absent. D'entendre débattre de la qualité de mon «intégration» en fonction de mes différences, mais non en fonction de notre vivre ensemble. Je veux qu'on me parle et je veux qu'on m'écoute.

Je refuse de me faire légiférer dans le secret et de me faire mettre au pied du mur. Je suis ouvert à écouter les peurs que je suscite et je suis prêt à travailler, à nouveau, très fort avec tout le monde pour développer des solutions pour un espace de vie commun harmonieux.

Nous avons déjà fait l'exercice une fois avec la commission Bouchard-Taylor, mais un autre gouvernement n'a pas eu le courage d'aller jusqu'au bout de la démarche. Il a «tabletté» le rapport après avoir appliqué le 80% le moins risqué.

Je me sens en colère, car j'ai l'impression qu'un gouvernement en perte de vitesse, un gouvernement qui se cherche, se sert de moi comme d'un vulgaire escabeau, qu'il m'utilise, qu'il grimpe sur mon dos pour obtenir un gouvernement majoritaire.

Il m'utilise, mais il utilise également la peur d'une majorité de Québécois pour exciter en eux ces sentiments primaires qui mènent à l'intolérance. Est-ce que cet incident à Saguenay a un lien avec tout ça? Je ne le sais pas, mais je suis tenté de penser que ce genre d'approche peut avoir des impacts insoupçonnés. Il n'y a aucune noblesse dans ces gestes d'un gouvernement dont on attend plutôt qu'il contribue à protéger ses minorités. Quelle sera la prochaine initiative du prochain gouvernement en perte de vitesse? De fermer les mosquées, les synagogues et autres?

Si le but de cette «charte» avait été d'exclure et de marginaliser, on n'aurait pas fait différemment. Sommes-nous en train de suivre l'école de la France qui, par sa politique d'assimilation, illustre parfaitement tout ce qu'il ne faut pas faire? La France qui, à chaque nouvelle loi, allume les feux dans ses cités et creuse encore plus profond le fossé qui sépare ses communautés? Elle a réussi à créer deux sociétés qui se côtoient, mais qui ne se parlent pas. Pire, qui se détestent au point de considérer que voler, brimer ou même agresser l'autre est tout à fait acceptable.

La loi et la majorité ne sont pas tout. L'ouverture, le dialogue, la tolérance, le rapprochement et la justice en sont plus proches. Parlons-nous encore. Il n'y a pas de salut en dehors de ça, car, encore une fois, nous ne partirons pas ailleurs. Nous sommes là, nous sommes Québécois et nous ne deviendrons pas transparents par la magie d'une charte.

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