Le massacre chimique du 21 août a mis la communauté internationale devant ses responsabilités. Il a ainsi dissipé les dernières illusions sur un monde «global» et «transparent» où plus jamais un dictateur ne pourrait exterminer une partie de sa population en toute impunité. Car cela fait deux ans et demi que Bachar al-Assad multiplie les tueries, enfonçant chaque jour un peu plus son pays dans l'horreur.

Dès le printemps 2011, il y a eu les tireurs embusqués contre les manifestants pacifiques. À l'été suivant, le despote lançait ses chars contre les cités insoumises. Puis il a déchaîné son artillerie lourde et ses hélicoptères contre les zones contestataires. Depuis l'été 2012, ce sont les raids aériens qui se succèdent contre les populations sans défense. Quelques mois plus tard, les missiles balistiques SCUD, d'une portée de 300 kilomètres, s'abattent sur des quartiers entiers. Jamais un tyran n'avait utilisé de telles armes contre sa propre population.

Et alors? Alors rien. Ou plutôt moins que rien, c'est-à-dire des déclarations martiales jamais suivies d'effet, des affirmations péremptoires trahies par une réalité médiocre, des envolées lyriques qui ont dû bien faire rire dans le palais présidentiel du Qassioun, l'équivalent syrien du Kremlin. Et puis des «fuites», des rivières de «fuites», des torrents de «fuites», qui ont fini par accréditer la fable d'une opposition surarmée et manipulée par l'Occident. Cette sinistre mascarade était le prix à payer pour camoufler la honteuse passivité des États-Unis et de leurs alliés face au calvaire syrien.

Car, de mon séjour dans les zones révolutionnaires du nord de la Syrie, le mois dernier, je peux vous affirmer que les combattants s'y partagent une kalachnikov pour trois et que la balle y coûte deux dollars. On est bien loin des arsenaux déversés au profit de l'insurrection libyenne à l'été 2011. Un révolutionnaire syrien me confiait dès cette époque, non sans amertume: «Si l'Occident ne veut pas armer la rébellion syrienne, alors qu'il ait au moins la décence de se taire». Les coups de menton des États-Unis et de leurs alliés, ainsi que les «fuites» dérivées, ont en effet alimenté la propagande du Qassioun et du Kremlin. Les révolutionnaires syriens, pendant ce temps, continuaient de compter leurs balles et leurs fusils.

Mais ce n'était pas assez de faire payer aux Syriens les calculs des grandes puissances en Libye, il fallait aussi leur faire assumer le prix des mensonges et des erreurs de l'Amérique en Irak en 2003. On voit combien la polémique actuelle est parasitée par le calamiteux précédent de l'intoxication d'État menée pour justifier une désastreuse expédition coloniale. Rien à voir avec la Syrie où un peuple s'est soulevé, depuis deux ans et demi, contre un tyran impitoyable, et où personne ne demande dans l'opposition d'intervention terrestre en Syrie même.

Cela fait déjà huit mois que la «ligne rouge» tracée par l'administration Obama sur l'arme chimique a été franchie en Syrie. Je m'en étais ouvert dans ces mêmes colonnes pour stigmatiser une telle conspiration du silence. C'est la Russie qui, en bloquant toute action au sein de l'ONU, a conduit à l'impasse actuelle. Ce sont les États-Unis qui, en se cantonnant à une complicité passive, ont ouvert un boulevard aux jihadistes dans la Syrie dévastée.

L'intervention aujourd'hui âprement débattue représentera sans doute trop peu trop tard. Car il n'y a plus aujourd'hui que de mauvaises options, du fait d'une accablante faillite collective. Quant aux Syriennes et aux Syriens, abandonnés si longtemps seuls face à Bachar al-Assad, ils pourraient par une nouvelle trahison être livrés cette fois au cauchemar jihadiste.