La commission Charbonneau fait bien son travail, mais le scepticisme de la population ne semble pas diminuer pour autant. Les politiciens nous convaincront-ils qu'ils peuvent sérieusement réduire la corruption dans l'octroi des contrats publics? En fait, nos élus savent que le «grand ménage» a toujours des effets limités dans le temps.

La loi no 1 sur l'intégrité en matière de contrats publics propose une longue liste d'infractions à vérifier auprès de dizaines de milliers d'entreprises. À prévoir: retards, erreurs administratives et contestations judiciaires. Pour gérer ce terrain de jeu, cette loi entraînera l'ajout d'une bureaucratie importante. Qu'est-ce que ce sera quand l'enquête s'étendra à d'autres municipalités ou au gouvernement du Québec?

Des lois sévères existent déjà sur l'attribution des contrats publics et sur le financement des partis politiques, mais elles sont pourtant contournées. C'est l'argent du contribuable qui est dépensé par les fonctionnaires qui gèrent ces contrats. Même si la grande majorité d'entre eux est intègre, les incitatifs pour le demeurer ne sont pas là. Dilapider nos impôts, par incompétence, paresse ou malhonnêteté nuit rarement à leur carrière. Plus fondamentalement, les fonctionnaires sont corruptibles parce qu'ils détiennent un monopole.

Les corrupteurs ne créent pas ces réseaux malsains: tous les contacts existent déjà dans cette relation monopolistique. La mafia n'a qu'à y plonger ses racines. Ajouter des lois répressives ne fera que créer de nouveaux marchés noirs, avec les mêmes acteurs. Les solutions autoritaires régleront peu de choses.

Je suggère de résister aux fantasmes de la répression toute puissante qui font le lit de la désillusion. Il est temps de réfléchir à des mesures incitatives qui encouragent la nature humaine à pencher du bon côté plutôt que de compter sur des contraintes irréalistes.

Considérons une approche qui permettrait au secteur privé de prendre le leadership de la lutte contre la corruption en se voyant confier la propriété des ouvrages qu'il réalise.

Imaginons que nous responsabilisions les constructeurs d'ouvrages en attribuant des mandats de réalisation de projets d'utilité générale, par exemple des autoroutes et des hôpitaux, à des consortiums qui financeraient ces grands ouvrages et en deviendraient propriétaires, en tout ou en partie, et seraient donc responsables de leur entretien. Ultimement, il faudrait en arriver à ce que ce soit l'utilisateur qui finance davantage ces projets plutôt que le contribuable.

Ces entrepreneurs-propriétaires devraient cependant respecter des normes de qualité définies par l'État. Sauf qu'à la différence d'un PPP, les constructeurs deviendraient les propriétaires.

Des mécanismes transparents devraient présider au choix du consortium de construction par les pouvoirs publics, seule étape où des pressions indues pourraient s'exercer. Mais dans cette hypothèse, l'État ne rachèterait pas l'ouvrage, ce qui diminue l'intérêt de corrompre des fonctionnaires. L'important est de faire jouer la concurrence.

L'entrepreneur privé qui sera propriétaire de ce qu'il a construit ne lésinera pas sur les moyens de faire respecter les coûts, les délais et la qualité, car ce sera son intérêt de le faire pour ne pas perdre la rentabilité de son investissement. Il ne voudra pas se laisser dépouiller par la mafia ou par qui que ce soit. S'il manque deux millimètres de bitume sur l'autoroute, il fera recommencer le travail.

La qualité de construction des ouvrages qui resteraient aux mains du privé maintiendra les frais d'entretien dans une fourchette acceptable et permettra à ces propriétaires de les revendre plus tard à un prix intéressant.

Cette approche fondée sur la propriété présente aussi des difficultés, mais elle est réaliste si elle est entreprise graduellement. Elle est appliquée en Europe, même en France, où il se construit de plus en plus d'hôpitaux privés et d'autoroutes privées financées par des péages, ainsi que des ouvrages de traitement des eaux, de services d'assainissement ou de réseaux informatiques.

Pour en arriver là au Québec, cela supposerait une évolution de notre culture politique et donc, de moins s'en remettre à un État très «gouvernemaman».

Faisons jouer l'intérêt et la compétence du secteur privé plutôt que de s'en remettre seulement aux promesses de politiciens de passage. Avec pour résultat des contrepoids efficaces qui, avec le temps, profiteront à nos concitoyens.