J'apprends sur Twitter qu'on organise le 21 juillet une course de 12 kilomètres entre Nantes et Lac-Mégantic à la mémoire des victimes de la tragédie. J'aime l'idée: courir pour montrer de la solidarité à toute la population de la région du Lac-Mégantic. J'en parle à un ami de Gatineau, c'est d'accord. Je vais en profiter pour faire un don à la Croix-Rouge, apporter une boîte de mes livres pour la nouvelle bibliothèque, me recueillir à l'église Sainte-Agnès.

Cinq heures de route de l'Outaouais et nous voici à Nantes, là où le train de la Montreal, Maine&Atlantic Railway a commencé sa folle descente. L'organisateur Christian Merciari attendait environ 150 personnes, nous sommes plus d'un millier, vêtus de vert, pour narguer le train de la mort, «car il n'est pas question/de laisser tomber notre espérance», avait écrit le poète Gaston Miron.

Je parle avec Emmanuel, qui a perdu sa conjointe au Musi-Café, lui il travaillait ce soir-là. Mélissa, 29 ans, aimait aussi courir, Emmanuel va faire le parcours avec sa chaussure dans les mains. «Une étoile de plus brille dans le ciel», a-t-il écrit sur la photo de Mélissa ornant son chandail.

Puis c'est le départ dans un bel élan d'enthousiasme, des marcheurs vont nous rejoindre plus tard. Courir, marcher, ça veut dire qu'il y a de la vie. Je croise des athlètes aguerris, des amateurs de marathon, des joggeurs avec des poussettes, d'autres courent avec leurs chiens. On dévale ensemble les nombreuses côtes, sans esprit de compétition, sans vitesse excessive.

Après quelques kilomètres, on me dit à plusieurs reprises: «Est-ce que ça va, monsieur? Lâchez pas». Le coeur y est, mais le souffle est plus court à 61 ans. Pourtant je cours depuis 30 ans, mais pas à midi, sous un soleil de plomb.

Je me sens porté par ces gens que je ne connais pas et qui m'encouragent. Je n'ai jamais vu autant de solidarité et d'amour dans une course; une force me pousse à continuer. Je pense aux familles endeuillées, je sue pour elles et avec elles. Je termine à la Polyvalente Montignac sous les applaudissements. Y a de la joie!

Une minute de silence unit les coeurs; langage universel d'une humanité qui se souvient. Moment très émouvant où les corps en mouvement sont devenus immobiles, à la mémoire des victimes. La mairesse Colette Roy-Laroche se fait de nouveau rassembleuse et rassurante, malgré la fatigue, le sommeil difficile: «Ça nous donne beaucoup de courage, un élan et de l'énergie pour continuer à vivre et à organiser notre ville».

Dernier geste avant de partir: me recueillir à l'église Sainte-Agnès devant le visuel des 47 victimes. On y défile sans cesse depuis qu'elle est rouverte, me dit le curé. Je sympathise avec des grands-parents qui pleurent leur petit-fils. 

Les gens circulent en silence, prennent des photos, écrivent un mot sur des petits coeurs pour les familles, composent une prière. Pour moi, ce ne sont pas des voyeurs, mais des veilleurs. Que faire devant tant de douleur, sinon être là, se taire, essuyer une larme, prier, partager le manque, continuer à vivre et à aimer.

La course de solidarité du 12 km s'est transformée pour moi en une sorte de pèlerinage intérieur. Elle va d'ailleurs revenir tous les 6 juillet pour faire mémoire des victimes et rappeler aux gouvernements qu'ils prennent tous les moyens afin qu'une telle tragédie ne se répète plus jamais.