La décision de la Cour d'appel avalisant la loi fédérale autorisant la destruction des données relatives aux armes d'épaule colligées dans le Registre canadien des armes à feu propose une interprétation tout à fait plausible du partage des compétences à l'intérieur du Canada. En d'autres termes, il ne sera pas facile d'y déceler une « erreur » de droit.

Le débat au sujet de l'abolition du registre des armes d'épaule contribue cependant à ancrer dans l'esprit du public que le fédéralisme canadien est synonyme de champ de bataille où s'affrontent des premiers ministres tout puissants qui sont libres d'interpréter la volonté populaire comme ils l'entendent. Un univers où la perspective des citoyens ne mérite pas d'être prise en considération.

Au Canada, surtout au Québec, la fascination exercée par les litiges constitutionnels relatifs au partage des compétences est si grande qu'on en vient à croire que le fédéralisme se résume à des conflits de juridiction entre les deux ordres de gouvernement. Cet accent mis sur l'affrontement judiciaire caractérisé par la logique binaire du « je gagne/tu perds » a contribué à réduire le fédéralisme à un simple mécanisme de distribution de pouvoirs, sans plus. Peu de personnes y voient un régime politique pouvant favoriser un mode singulier de participation citoyenne à la vie politique, économique, sociale et culturelle d'un État.

Or, dans l'affaire de l'abolition du registre des armes d'épaule, ce n'est pas tant le fédéralisme qui pose problème que sa conjonction avec notre régime parlementaire de gouvernement. Le problème auquel fait face le Canada depuis longtemps est le suivant : notre régime parlementaire de type britannique favorise une concentration tous azimuts des pouvoirs dans les mains des premiers ministres ce qui, au niveau fédéral, s'accorde mal avec la vocation des institutions politiques que sont la Chambre des communes et le Sénat de jouer le rôle de forums des débats inter-régionaux.

En effet, dans un régime parlementaire comme le nôtre, tout est pensé pour favoriser la constitution de pouvoirs exécutifs fédéral et provinciaux tout puissants, c'est-à-dire de premiers ministres tout puissants. La concentration de pouvoirs qui en découle, problématique en elle-même, soulève une difficulté supplémentaire dans le contexte d'institutions fédérales comme le Parlement canadien. En effet, un premier ministre fédéral - lorsqu'il est à la tête d'un gouvernement majoritaire - détient la presque totalité des pouvoirs et peut donc décider de tout, sans égard bien souvent aux opinions variées exprimées par les citoyens des différentes provinces. Il peut même ignorer les opinions exprimées par ses propres députés, qu'il tient solidement par le licou de la discipline de parti. En effet, armé de cette discipline, il peut briser la carrière politique d'un député délinquant. C'est lui qui décide, en fin de compte, des compromis nécessaires à faire et à accepter au sein de la fédération. En l'occurrence, et sans égard à ce qu'en pensent une grande majorité des Québécois, le gouvernement Harper a choisi la destruction pure et simple d'une partie des données. Toute la députation conservatrice, y compris celle du Québec, a endossé ce point de vue sans sourciller.

Il est vrai, comme l'a dit la Cour d'appel, que la résolution du conflit au sujet de l'abolition du registre des armes d'épaule est une question politique. Encore faudrait-il que nos institutions politiques permettent la traduction et l'accommodement de la diversité des opinions qui font le Canada d'aujourd'hui. Encore faudrait-il que les institutions fédérales en particulier permettent un débat véritable sur ces questions. Encore faudrait-il que la dynamique unitaire de notre régime parlementaire puisse être réconciliée avec la dynamique centrifuge de notre système fédéral.