L'arrestation de Michael Applebaum marque un point de plus dans la rupture de la trajectoire de développement historique et politique de Montréal. L'équilibre des intérêts à l'hôtel de ville, qui a permis l'émergence des corporatismes et de la corruption dans l'administration montréalaise ne tient plus.

Montréal a longtemps fonctionné sur le plan politique selon un système d'accommodement entre les élites francophones et anglophones, typique des sociétés hétérogènes clivées sur le plan culturel et linguistique. Dans ce type de système, les élites des différentes communautés s'entendent entre elles pour se partager la représentation politique, mais abandonnent en contrepartie l'exécution des décisions aux différents corps de l'administration et aux intérêts sectoriels qui les entourent. Puisque le «diable est dans les détails», ce transfert d'autorité aux bureaucrates a pour objectif d'éviter que les conflits ne remontent au niveau politique et perturbent la cohabitation, parfois fragile, des élites et des communautés divisées qu'elles représentent.

Les enjeux concernant Montréal étaient ainsi définis comme des enjeux techniques de gestion, d'efficacité et d'économies d'échelle. Cette conception plus administrative que politique de Montréal rendait possible la cohabitation des élites francophones et anglophones, pourtant divisées sur la question nationale à l'échelon provincial et fédéral. Montréal était de cette façon tenue à l'écart du clivage entre fédéralistes et souverainistes, qui structure la vie politique québécoise depuis les années 1960.

Mais aujourd'hui, les deux camps s'entendent pour mettre la question de Montréal dans la liste des priorités politiques du Québec. C'est ce que font Jean-François Lisée et Denis Coderre. Tous deux reconnaissent que c'est à Montréal que se joue l'avenir de la société québécoise et de sa capacité à tirer profit de la mondialisation. La première ministre Marois disait dans un discours en novembre 2012 que Montréal était le «vaisseau amiral» dans le développement du Québec. En ceci, elle a pleinement raison. Il reste maintenant à doter Montréal d'un statut politique qui reflète mieux son pouvoir économique.

La répartition des pouvoirs entre Québec et ses villes et municipalités est une affaire strictement provinciale. Ici, point besoin du Canada pour se faire reconnaître comme société distincte ou comme État indépendant avec 50% plus 1 des voix. Toute l'autorité nécessaire se trouve à l'Assemblée nationale.

Québec doit revoir sa vision jacobine des affaires municipales. Montréal est depuis trop longtemps tenue par le gouvernement du Québec dans un état d'infantilisme politique et d'immaturité administrative qui ne favorise pas une véritable prise de responsabilités et de reddition de comptes par les autorités municipales. La centralisation du pouvoir à Québec nuit à la bonne gouvernance de Montréal et favorise l'opacité bureaucratique derrière laquelle se cache la corruption.

Devant les scandales à l'hôtel de ville, le gouvernement réagit en centralisant davantage les pouvoirs de décision à Québec. Quoique compréhensible, cette réaction ne constitue pas une solution efficace à plus long terme. C'est plutôt l'inverse qu'il faudrait faire: une décentralisation substantielle de pouvoirs pour renforcer la concurrence politique et ainsi revigorer les mécanismes de contrôle dans les villes et les municipalités.

La crise qui secoue présentement Montréal peut être vue comme un déprimant problème de corruption. Elle peut aussi être vue comme une occasion de déblocage pour repenser les horizons politiques de la société québécoise au XXIe siècle.

La nation québécoise n'a pas d'État souverain, mais elle a une métropole. À l'heure de la mondialisation, ceci lui confère un avantage stratégique dont elle doit apprendre à mieux tirer profit pour assurer son développement.