Plusieurs d'entre nous ont été touchés par le cas de Michel Dumont, accusé à tort d'agression sexuelle. Quand on nous raconte la condamnation d'une personne qui n'a commis aucun crime, nous sommes indignés et lorsqu'on en fait un film, c'est notre coeur qui est touché. Et pourtant, chaque jour, le Canada, sous la gouverne de Stephen Harper, condamne des innocents sans que personne, à part ces innocents, ne s'indigne.

Abou Fofana a fui son pays, la Côte d'Ivoire, alors que le gouvernement du Sud faisait tuer quiconque avait travaillé avec les Forces nouvelles. Il a demandé l'asile au Canada à son arrivée, il y a cinq ans. Lors de son audition, la Couronne lui a appris sans préavis qu'on le soupçonnait d'être un criminel de guerre. Il n'a pas pu préparer de défense et la Couronne n'avait aucune preuve, à part les propres déclarations d'Abou Fofana à son arrivée au pays.

À la suite de cette audition bâclée, Abou Fofana est sous le coup d'une ordonnance de déportation, avec une interdiction d'être au Canada, mais aussi aux prises avec la terrible étiquette de criminel de guerre, une sentence qui lui est imposée à vie. Conséquence? Toute autre forme de demande d'immigration, de parrainage ou de sursis pour motifs humanitaires lui sera refusée.

Abou Fofana devra partir le 20 juin, en laissant ici un emploi stable comme menuisier, une femme enceinte de jumeaux et un enfant de 16 mois, dans leur maison de Trois-Rivières. Car le fait que sa femme, prête à le parrainer, ainsi que ses trois enfants soient Canadiens ne change rien à la décision du gouvernement. Et lorsqu'il voudra immigrer ici ou ailleurs, on lui refusera parce que le Canada le considère comme un criminel de guerre.

Mais quel est ce crime qu'on lui reproche? De son propre aveu, Abou Fofana a été menuisier pour les forces rebelles du nord pour construire des hangars. Il a aussi été assigné à un poste de péage frontalier pour fouiller des véhicules à la recherche de matériel suspect. Il n'a jamais été soldat, il n'a jamais été armé et n'a jamais participé à aucune décision de ce mouvement.

Alors, c'est quoi le problème? C'est qu'à l'époque, les Forces nouvelles n'étaient pas considérées comme un gouvernement légitime. Donc, le péage n'était pas un péage mais, selon Immigration Canada, de l'extorsion d'argent en conflit de guerre. Et de l'extorsion en temps de guerre, c'est un crime de guerre selon le gouvernement. C'est ainsi qu'Immigration Canada voit les choses.

Les Forces nouvelles forment maintenant le gouvernement légitime reconnu par l'ONU. Bref, Abou Fofana n'était pas du côté des tortionnaires, et le gouvernement légitime de l'époque, qui était dirigé par Laurent Gbagbo, a été remplacé et ce dernier est aujourd'hui accusé de crime contre l'humanité. De l'autre côté, Guillaume Soro, celui qui a dirigé les Forces nouvelles, pour qui Abou Fofana était menuisier, a été accueilli en héros le 23 octobre 2012 par le gouvernement canadien. Comment notre pays peur-il dérouler le tapis rouge pour le chef et accuser son simple employé de crime de guerre?

En dix ans dans le monde des communications, j'ai rarement été autant dégoûtée par l'attitude de mon gouvernement. Immigration Canada élève au rang de criminels de guerre de pauvres quidams qui ont eu le malheur de se trouver en zone de guerre dans leur pays.

Et nous, on laisse faire ça? Et si Abou Fofana s'appelait Michel Dumont? Une chose est certaine, son histoire susciterait moins d'indifférence, et ça, bien sûr, le gouvernement Harper le sait.