Nigel Wright, le chef du cabinet du premier ministre Harper, n'avait certainement pas prévu démissionner et laisser son patron dans l'embarras quand il a pris la décision de donner 90 000$ au sénateur Mike Duffy pour que celui-ci rembourse les surplus en frais de logement qui lui avaient été versés par les fonds publics.

M. Wright devait plutôt avoir imaginé le contraire et estimé avoir pris une décision qui ferait avancer les intérêts politiques du gouvernement. Après tout, le chef de cabinet du premier ministre occupe, de facto, la seconde plus haute fonction au sein du gouvernement parce qu'il est un fin stratège et un oracle de la politique. 

En tant que dirigeant de la multinationale Onex Corporation et riche avocat d'affaires de Bay Street, Nigel Wright s'y connaît en calcul du risque et en analyse coût-bénéfice dans les décisions d'investissements. Comment un individu reconnu pour de telles compétences est-il arrivé à faire un si mauvais calcul pour lui et son équipe? Comment le cabinet du premier ministre a-t-il pu si mal prévoir le déroulement des événements?

Cette crise lève le voile sur ce qui a toutes les apparences d'une culture organisationnelle dysfonctionnelle au sein du cabinet du premier ministre. Le leadership autoritaire et centralisateur du premier ministre et de son bureau ne favorise pas les débats d'idées et la concurrence des points de vue. Ce mode de direction encourage plutôt la conformité et renforce les tendances à la pensée unique et au «groupthink» au sein des organisations. Les membres du groupe adhèrent à une vision homogène de la réalité soit par croyances, par contrainte ou par opportunisme, parce que dire au patron ce qu'il veut entendre constitue une stratégie rationnelle d'avancement et de promotion.

Personne dans l'entourage de M. Wright ne semble avoir anticipé les conséquences de sa décision de donner 90 000$ à un sénateur. Le chef de cabinet et sa garde rapprochée n'étaient pourtant pas sans savoir que ce geste allait inévitablement attirer l'attention des médias et de l'opposition. Ils n'ont pas dû être surpris lorsque l'affaire est devenue publique. Ils devaient être préparés et avoir un script pour convaincre l'opinion publique et neutraliser les critiques.

C'est ainsi que M. Wright a expliqué qu'il avait épongé la dette du sénateur par intérêt public, parce qu'il ne voulait pas que cette somme soit un fardeau sur le trésor public. Il a puisé dans ses ressources personnelles pour régler un problème public. Il a agi comme un bon philanthrope et de «façon honorable», comme l'a maintes fois répété le premier ministre Harper.

Avec ce message, le cabinet du premier ministre a cru imposer sa définition de l'enjeu à l'agenda politique. Cette stratégie s'est cependant vite révélée inefficace, tant la rationalité de la décision de Nigel Wright est rapidement apparue douteuse et étrange aux yeux de tous les observateurs. Partout, la suspicion a été automatique. Le décalage entre l'interprétation des mêmes événements par le cabinet du premier ministre et l'opinion publique n'est jamais apparu si grand auparavant.

Avec la démission de son chef de cabinet, Stephen Harper paie le prix de son style de leadership trop directif et idéologique. Le premier ministre gouverne toujours comme s'il était encore chef de l'opposition, se croyant menacé de tous les côtés par des adversaires libéraux cachés ici et là dans les institutions du gouvernement fédéral. 

Cette «mentalité d'assiégés» le sert mal à plus long terme. Elle favorise un esprit de corps qui étouffe toute pensée critique dans son entourage. 

Le premier ministre doit apprendre à mieux tolérer la dissidence. Sinon, les risques «d'auto-pelure-de-bananisation» deviendront à coup sûr plus grands au fil du temps.