À première vue, le projet du ministre Drainville d'une charte des valeurs fondamentales semble plutôt mal inspiré.

L'assise juridique du Canada repose sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit. Le préambule de la Charte canadienne des droits et libertés en fait l'énoncé. De surcroît, à ce jour, la liberté de conscience et de religion, garantie par la même charte, fait l'objet d'une généreuse interprétation par la Cour suprême.

Dans un débat mettant en cause les valeurs religieuses et le principe de laïcité, la justice doit-elle convenir de la primauté de Dieu (Jésus, Yahvé, Allah, Bouddha, etc.) ou donner préséance au caractère laïque des institutions publiques?

Longtemps figée, cette délicate question a resurgi dans l'affaire de la prière du maire Tremblay dans un litige où s'emmêlent le multiculturalisme canadien, l'interculturalisme québécois, la diversité culturelle et la liberté religieuse à connotation identitaire.

En cette matière, les perceptions varient à l'infini. Teinté de considération religieuse, le poignard sikh est considéré au Royaume-Uni comme un attribut culturel plutôt que religieux. Au Canada, la Cour suprême a jugé que le kirpan (poignard sikh) est un symbole dont la possession est protégée par la liberté de religion.

Avant l'adoption du texte final de la Charte canadienne en 1982, l'insertion tardive d'une référence à Dieu dans le préambule fut la dernière modification de la Loi constitutionnelle de 1982. Plutôt réfractaire à cet ajout, et sans trop y croire, le premier ministre Trudeau céda aux pressions de la députation libérale: «I don't think God gives a damn whether he's in the Constitution or not» ! («Dieu se fout complètement d'être dans la Constitution ou non»)

Ce moment d'insouciance ajoute aujourd'hui à la confusion. Témoin, l'affirmation de la Cour d'appel à l'effet que «le récit d'une prière s'inspirant d'un des principes fondamentaux de la Constitution» ne peut violer les droits d'un citoyen réfractaire à cette pratique.

Nulle part dans notre aménagement constitutionnel, le caractère laïque, séculier ou neutre de l'État (canadien ou québécois) n'est-il affirmé. Ce sont les juges qui, à la pièce, ont façonné la reconnaissance de facto du principe de la séparation de l'Église et de l'État. Ainsi, le juge Antonio Lamer observa (affaire Sue Rodriguez) que «la Charte a consacré le caractère essentiellement laïque de la société canadienne».

Notre charte constitutionnelle fait voir un pôle libéral individualiste: c'est une déclaration du citoyen. Ce sont donc les personnes (par opposition aux groupes) qui bénéficient de la liberté de religion. Vu l'importance de la spiritualité dans une société diversifiée, le concept juridique de Dieu peut prendre du volume.

Dans la mesure où des personnes reliées à un groupe ou une collectivité ne doivent pas connaître de discrimination sur la base de leurs croyances ou pratiques religieuses, la notion protéiforme de Dieu pourrait certes alimenter des revendications culturelles et identitaires... à connotation religieuse.

Comment savoir si les tribunaux donneront préséance au principe non écrit de la laïcité de l'État sur la suprématie de Dieu (et la liberté religieuse), celle-ci étant burinée dans le bronze de la Constitution canadienne?

Ombrageux et poussif, le récent jugement de la Cour d'appel du Québec ajoute à la confusion. Au Québec, une affirmation forte du principe de laïcité par l'Assemblée nationale pourrait utilement remplir un vide juridique et orienter la démarche des juges.