On pourrait croire que le milieu universitaire - un milieu où l'on se targue de « brasser » des idées nouvelles, novatrices et créatives - est un endroit où la conciliation travail-famille est, sinon encouragée, du moins tolérée.

Certes, les horaires de travail flexibles, la possibilité de travailler de la maison et, disons-le, les salaires plus élevés que la moyenne, permettent aux professeurs qui sont aussi parents de jeunes enfants de s'organiser assez facilement lorsque fiston tombe malade ou que la garderie ferme abruptement ses portes pour cause d'épidémie bactérienne. Et pourtant...

Pourtant, le regard des collègues demeure sévère à l'égard de ces jeunes professeures qui tombent enceintes, souvent après de longues années d'études, et donc forcément « sur le tard », et qui, hélas, sont aussi en début de carrière.

Le milieu universitaire ne fait pas de quartiers : une jeune professeure, peu importe sa situation personnelle, ne saura triompher sans publier un maximum d'articles scientifiques dans des revues reconnues, donner un maximum de conférences (idéalement à l'étranger), concevoir une pléthore de nouveaux cours pour le plus grand nombre d'étudiants possible et, bien sûr, se donner à fond pour servir la collectivité, tant à l'interne qu'à l'externe.

La jeune mère ou celle sur le point de l'être en sort forcément perdante. Elle ne saura, pour un certain temps du moins, honorer dignement ou du moins autant que ses collègues masculins, une telle charge de travail. Mais si ce n'était que cela...

Les commentaires des collègues se font acerbes à l'endroit de la future mère : « Une grossesse, ça se planifie! » Or, une grossesse ardemment désirée qui survient à la fin de la trentaine ou à l'aube de la quarantaine peut difficilement être repoussée plus longtemps.

« Être enceinte, ce n'est pas une maladie ». Non, bien sûr que non. Mais peut-on au moins s'entendre sur le fait que d'avoir un petit être humain qui grandit dans son ventre implique souvent de réprimer toute la journée ses envies de vomir (ou alors, de prendre des médicaments antinauséeux qui ont malheureusement comme effet secondaire de créer la somnolence), de voir son agenda bousculé par de nombreuses visites médicales, de mal dormir, d'avoir mal au dos, d'avoir des brûlements d'estomac et j'en passe... Banaliser une grossesse sous prétexte que cela n'est pas une maladie est, à mon sens, franchement machiste.

« Tu es certaine que tu veux un enfant? Il n'y a pas beaucoup de femmes dans ce milieu qui en ont... » Ce commentaire, entendu à maintes reprises de la part de collègues féminines me laisse encore songeuse. S'agissait-il d'une maladroite mise en garde? Parce qu'avoir un enfant, lorsqu'on débute une carrière de professeure-chercheure, est un sujet hautement tabou. Devoir quitter une réunion pour des raisons médicales liées à la grossesse ou pour aller chercher fiston à la garderie, ça ne passe pas. Certes, on ne le dira pas tout haut. Les collègues sont des gens civilisés et polis. Or, les yeux levés au ciel trahissent ce qu'on pense tout bas. Un « vrai » chercheur, un « vrai scientifique », un « vrai » professeur devrait faire passer le Savoir et la Connaissance avant des raisons aussi terre à terre qu'un... enfant!

Et la permanence? N'y pensez pas! Et la promotion? Vous vous moquez de moi, sans doute! Quand, à la naissance de l'enfant, vos collègues ne se donnent même pas la peine de vous faire parvenir une petite carte de félicitations (et un cadeau? Non, sérieusement, vous me faites marrer!), cela laisse paraître assez clairement ce qu'on pense de cet « heureux événement ».

J'aimerais dire aux jeunes professeures qu'elles pourront vivre une grossesse sereine et prendre un congé de maternité sans en subir trop de conséquences néfastes sur leur carrière, mais cela m'est impossible. J'aimerais ne pas avoir à les mettre en garde.

Certains diront que la grossesse est un choix. Qu'on ne peut pas tout avoir. Serait-ce à dire que la carrière universitaire est totalement irréconciliable avec la volonté de fonder une famille? Plutôt que de vous mettre en garde, doctorantes, je vous enjoins à vous battre. Battez-vous pour vous, pour vos enfants (actuels ou en devenir), pour toutes les jeunes mamans ou pour celles qui rêvent de le devenir. Si le milieu universitaire ne souhaite embaucher que des hommes ou des femmes ménopausées, qu'il le dise clairement et fasse ensuite face aux conséquences qui en suivront.