Aujourd'hui s'ébranlera dans les rues d'Ottawa une Marche pour la vie ayant pour thème «Cessons le foeticide féminin». Puisque l'événement n'a rien de sexy et que ses chances de séduire sont négligeables, on peut se demander ce qui motive ses participants.

On peut d'abord constater que si la question de l'avortement revient sans cesse dans l'espace public, c'est qu'elle n'a rien de superficielle, mais bouleverse viscéralement. De plus, on est davantage éveillé aujourd'hui sur le phénomène de l'avortement sélectif. Des couples optent pour l'avortement lorsqu'ils apprennent que l'enfant à naître est une fille.

Voilà qui ébranle le dogme de la liberté absolue de choisir. En effet, que penser lorsque le choix des femmes se retourne contre elles? Que faire lorsque le choix des femmes (avorter ou non) devient en fait le choix des hommes (sélection en faveur des foetus de sexe masculin)?

Et ce n'est que la pointe de l'iceberg. Les diagnostics prénataux procurent aux géniteurs des informations toujours plus précises sur l'enfant à naître. Avec le risque de déboucher sur des avortements lorsque seront détectées telle caractéristique physique, une prédisposition à telle maladie, etc. Bref, le flou juridique actuel rend praticable le sexisme, la discrimination chromosomique, l'eugénisme. D'où la nécessité de discuter à nouveau de l'encadrement de l'avortement.

Mais c'est devenu impossible, tant règnent la méfiance et la mauvaise foi. Stéphane Lafleur, sur le dernier album d'Avec pas d'casque, chante «Où y'a une vue, y'a des clôtures». Justement, il appert qu'il y a une éternité que les pro-vie et les pro-choix, bien campés dans leur point de vue respectif, n'ont pas «sauté la clôture» pour aller voir comment le problème se présentait de l'autre côté.

Pour beaucoup, il s'agit d'assurer la souveraineté de la femme sur son corps et son existence.

Pour d'autres, l'enjeu est surtout de défendre la vie humaine, les innocents, les plus faibles.

Toutes les valeurs en jeu ici sont valables et précieuses. Or, certains pro-choix esquivent rapidement le fait qu'il n'y a pas que le corps de la femme à prendre en considération dans cette affaire, mais également un autre être possédant son propre bagage génétique, viable dès la 24e semaine, etc. Aussi, en lui déniant parfois toute signification morale, on banalise l'acte abortif; on en fait un simple choix de préférence, n'engageant pas la responsabilité.

Du côté des pro-vie, certains sous-estiment la détresse extrême accompagnant une grossesse non désirée. Que bien des femmes, à toutes les époques, aient choisi d'avorter malgré l'illégalité ou les procédés sordides, devraient suffire pour convaincre de cette détresse.

Plus encore: souvent portés à revendiquer la criminalisation tous azimuts de l'avortement, certains assimilent trop aisément l'avortement à un assassinat. Si on peut légitimement percevoir l'avortement comme la suppression d'un être humain, il reste que les circonstances altèrent radicalement la nature du geste. Pour que l'avortement soit criminalisé comme un meurtre, il faudrait qu'il soit évident ou communément admis que le foetus est un être pleinement humain, voire une personne; ce qui est loin d'être le cas dans une société où 90% des citoyens appuient le droit à l'avortement.

Par ailleurs, quiconque a côtoyé une femme qui s'est fait avorter n'éprouve guère l'envie de la qualifier de «criminelle» ...

Nous voici donc devant une problématique qui deviendra encore plus épineuse avec le développement technique. Elle exige la fin d'une polarisation rigide au profit d'une approche plus pragmatique. Le consensus n'adviendra pas de sitôt sur le fond de la question; en attendant, il me semble urgent de nous entendre pour empêcher certaines pratiques, notamment celles relevant d'une forme ou l'autre d'eugénisme.

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