Bell a tenu promesse en revenant devant le CRTC avec une version modifiée de sa proposition d'achat d'Astral. En prenant l'engagement de se départir de quelques-uns des actifs d'Astral de façon à respecter les critères quantitatifs de part de marché, Bell a pu alors obtenir le consentement du Bureau de la concurrence pour l'acquisition d'Astral.

Mais le Bureau a souligné que le CRTC avait d'autres critères à respecter pour accepter cette transaction. Les critères du CRTC sont plus nombreux et plus complexes, et le consentement du Bureau ne devrait pas influencer sa décision.

En fait, la cession sélective d'actifs promise par Bell est marginale et ne change pas de façon significative la position dominante qu'il occuperait sur le marché. Bell garde les joyaux d'Astral, soit les actifs les plus rentables et prometteurs et cèdent ceux de moindre importance ou moins rentables, ou même déficitaires.

Bell garderait six canaux spécialisés et payants francophones et 14 canaux de langue anglaise d'Astral qui jouissent encore d'un monopole thématique, d'une distribution obligatoire et d'un accès garanti aux redevances. Les canaux francophones retenus grâce aux redevances et à des revenus publicitaires se traduisent par des rendements monopolistiques allant de 31% à 50%.

Les paiements de redevances qui devaient à l'origine faciliter l'émergence de canaux spécialisés deviennent ici une forme de subvention à l'empire Bell-Astral qui dominerait largement le marché des médias. Grâce à ses services spécialisés, Bell-Astral toucherait 40% de toutes les redevances au Canada et près de 38% des revenus publicitaires.

Dans le marché francophone, la domination est encore plus marquée alors que Bell-Astral toucherait plus de 50% des redevances.

Ultimement, ce sont les consommateurs canadiens qui sortiraient perdants d'une telle domination de Bell-Astral en alimentant par les tarifs qu'ils paient, des subventions implicites à ce géant.

De plus, la transaction permettrait à Bell-Astral de dominer complètement les secteurs très lucratifs du cinéma et des sports. Le CRTC a permis l'entrée de nouveaux joueurs dans le secteur des sports, mais le réseau développé par Bell, grâce à ce monopole thématique, a permis de conclure de multiples ententes d'exclusivité ou encore de long terme avec les intervenants du milieu et il faudra encore beaucoup de temps avant qu'une véritable concurrence puisse se manifester dans ce secteur.

Avec sa taille actuelle, Bell est déjà en mesure de profiter de conditions avantageuses sur les coûts d'accès au contenu. Alors, Bell-Astral avec ses 38 services spécialisés et payants, 28 chaînes généralistes, une centaine de stations radiophoniques et des centaines de sites web sur ses diverses plateformes, deviendrait un absolu incontournable pour les offreurs de contenu et les annonceurs. Ainsi, Bell-Astral exercerait un important contrôle sur les diverses modalités de contrat avec ces fournisseurs. Grâce à ce vaste portefeuille de contenu et de plateformes, Bell-Astral pourra faire des offres qu'aucun autre joueur sur le marché ne sera en mesure de concurrencer.

Si le CRTC approuvait la transaction, il se devrait de limiter les effets de domination en instaurant des mesures de sauvegarde à Bell-Astral. Le régime des redevances et de la protection des genres devrait faire l'objet d'une révision pour niveler le terrain concurrentiel entre les chaînes généralistes et celles spécialisées. Ces dernières ont atteint un niveau de maturité qui ne justifie plus la protection dont elles bénéficient présentement.

La décision la plus sage du CRTC serait encore une fois de restreindre les vues monopolistiques de Bell en bloquant la transaction et en invitant d'autres joueurs à faire des propositions d'achat à Astral.