Mon père est atteint de la maladie d'Alzheimer depuis plus de 18 ans, peut-être plus. Je ne compte plus les années. Je n'ai presque plus de souvenirs de celui qui a été un papa, un mentor, un « nounou » (grand-père en italien), un époux, un entrepreneur, un conseiller municipal, un grand frère, un oncle, un ami, un épicurien, un voyageur, un bon vivant.

Il a été diagnostiqué officiellement à l'âge de 60 ans. L'âge de mon ex-mari.

Dans les faits, on a observé cette maladie habiter sa tête, ses comportements, ses gestes sournoisement depuis l'âge de 58 ans.

Ma mère s'est glissée dans la peau de son aide-soignante naturellement. Elle l'a protégé du poids des regards des autres, elle s'est battue pour sa dignité, elle a épousé son rythme, calmé ses angoisses et vécue sa déchéance avec courage, sagesse et amour.

Le 27 mai, cela fera cinq ans que mon père a été placé en résidence. Un CHSLD conçu pour accueillir nos bien-aimés atteints de cette maladie. Un endroit rêvé. Vraiment.

Nous n'avions plus le choix de le placer. Le placement s'est fait avec l'aide et les conseils d'un travailleur social. Nous étions déchirés, car existe-t-il une décision plus difficile à prendre que celle d'abandonner le sort d'un être aimé à des étrangers... qui ceci dit, avec le temps, nous ont remplacés avec autant de tendresse et de bienveillance.

Il y a cinq ans, mon père parlait encore, participait aux diverses sorties organisées par la résidence, mangeait, marchait, « vivait » dans cette enrichissante bulle que je nomme « le monde d'Alzheimer ». Une bulle qui nous encourage à intégrer le « carpe diem » ou le « carpe minutam » dans nos vies. Cette maladie m'a bouleversée, m'a confrontée, m'a nourrie, m'a appris sur moi-même, mon père et la vie. Je l'ai épousée, je l'ai intégré dans mon quotidien, j'en ai fait une alliée.

Cependant, depuis un an, papa est incontinent, pas comme on l'entend dans ces jolies pubs qui nous vendent des « Depends ». Il fait pipi et caca dans sa couche et parfois, même au sol, là où l'envie lui prend.

Il ne mange plus, il ne boit que de l'Ensure pour le maintenir en vie et des bonbons. Il est vêtu de « jaquettes » de style-hôpital (enfin, des plus jolies que maman lui achète pour répondre à sa coquetterie d'antan). Il refuse de porter un dentier, à quoi bon au final, car il ne sait plus mâcher. Il se lève à peine de son lit «simple» d'hôpital.

Je souffre à chaque visite, de voir mon père, et tous les autres dans le même état, arriver à la fin de leur vie ainsi.

Si papa avait une seconde de lucidité, il mettrait fin à sa vie ou nous demanderait de le faire pour lui.

Il n'est pas branché sur des machines, cela aurait été facile pour nous, car son testament biologique adresse sa volonté de ne pas être maintenu en vie artificiellement.

Qu'est-ce qui définit une vie ? Je me pose sérieusement la question. Pour moi, ça ne se résume pas à Ensure, pipi, caca...

Quand allons-nous statuer sur le droit du suicide assisté? Mon père n'est-il pas « branché » sur de l'artificiel, un ersatz de vie?