L'attentat au marathon de Boston devrait-il forcer les organisateurs de grands événements sportifs à augmenter les mesures de sécurité? Ou devrait-on plutôt voir comme un acte isolé le fait que le marathon de Boston ait été choisi comme cible des explosions?

Gaëtan Lafrance

Professeur honoraire à l'INRS-EMT



CONTRER LE MAL POUR LE MAL ?

Les événements populaires sont innombrables. Par contre, le marathon de Boston est mythique et peut représenter un symbole du capitalisme américain. Erreur. Pour avoir pratiqué autant les sports de compétition que ceux d'endurance comme le marathon, je sais qu'il s'agit d'un acte fondamentalement démocratique, apolitique, non religieux. Toutes les classes sociales sont invitées, sans distinction de couleur de peau, quel que soit l'âge du participant, quel que soit sa taille. La seule discrimination est d'avoir une excellente endurance et de « ne pas courir en canard ». Ironiquement, la grande peur, c'est d'avoir les jambes coupées par manque de souffle, pas par un souffle de bombe ! Mais surtout, l'amateur ne peut comprendre qu'on assassine des femmes et des enfants qui lui sourient à l'arrivée. Al-Qaïda a engrangé des sympathies de supporteurs parce que le World Trade Center représentait la puissance de l'ennemi juré. Pour Boston, tout humain normalement constitué retiendra qu'il s'agit d'un acte de barbarie pur et simple. Le mal pour le mal, c'est une composante du destin, c'est la probabilité d'être l'otage d'un être malveillant qui a décidé de se mettre en travers de notre chemin. On ne peut pas s'en protéger. J'ai bien peur que ce soit les marchands de sécurité qui aient remporté le gros lot dans cette histoire.

Joëlle Dupont

Étudiante en sciences humaines au cégep de Lanaudière



PIED DE NEZ AU TERRORISME

La triste réalité est celle-ci : on ne viendra jamais à bout du terrorisme, qu'il soit idéologique, politique, social ou religieux. Toujours, il y aura des lieux, des moments, des évènements qui en seront les cibles. Le propre du terrorisme (et ce qui le rend si ignoble et méprisable), c'est de viser la population et les civils innocents dans leur quotidien. Pour l'enrayer, c'est le quotidien dans son entier qu'il faudrait sécuriser! Imaginez un monde où chaque commerce et lieu public pulule de gardes armés et de détecteurs de métaux, où vous passeriez au scanneur avant d'entrer à l'épicerie et où les sacs à dos et sacoches seraient fouillés en permanence...C'est évidemment aussi impossible que non souhaitable. Alors, on fait quoi? On continue de vivre, de sortir, de fréquenter les lieux publics. On fait un pied de nez à ceux qui bavent de voir la population se terrer dans l'ombre et la crainte. Et surtout, on lutte contre le terrorisme au seul endroit où on peut le vaincre : sur le terrain de l'injustice. Car c'est dans l'injustice que naissent l'extrémisme et l'illusion que la violence est justifiée. Dans l'injustice, la pauvreté, la misère, l'oppression. Un monde où chaque lieu public serait sursécurisé ne viendrait pas à bout du terrorisme. Un monde où tous seront éduqués et vivront dans la dignité en sera exempt.

Pierre Simard

Professeur à l'ÉNAP, à Québec



LA DICTATURE SÉCURITAIRE

L'intensification des mesures de sécurité est prévisible, non seulement lors des événements sportifs, mais partout dans les lieux publics. Comme on ne sait jamais où et comment le dément va frapper, tout attentat apporte son lot de nouvelles lois et de règles de sécurité. Chaque fois, ce sont les libertés civiques du monde libre qui sont soufflées par les bombes des terroristes. Depuis le 11 septembre 2001, le sécuritarisme a envahi subtilement notre quotidien. Nous ne pouvons plus prendre l'avion sans être purifiés par un agent des douanes. Nos sacs à dos sont fouillés à l'entrée des événements festifs. Des caméras de surveillance enregistrent le moindre de nos gestes au travail, à l'épicerie ou dans la rue. Quelques heures après l'attentat de Boston, un analyste suggérait d'élargir les bases de données sur les citoyens de manière à identifier préalablement les individus susceptibles de perpétrer de tels actes. J'ai compris alors que les terroristes étaient en voie de gagner leur guerre contre le monde libre : quand le fichage des citoyens n'est plus un sujet tabou, c'est que la dictature sécuritaire est à nos portes. Nous sommes tous victimes du terrorisme.

Pierre Simard

Francine Laplante

Femme d'affaires



N'ARRÊTONS PAS DE VIVRE!

Quelle horreur! Il n'y a pas de mot pour décrire ce drame. Cependant, je ne crois pas qu'il faille tomber dans l'excès de sécurité dans tous les grands évènements ou rassemblements. Le soir de l'attentat, je me rendais au Centre Bell pour la partie de hockey et je n'ai pu m'empêcher de penser que nous n'étions pas à l'abri d'une attaque gratuite dans ce lieu de rassemblement qui peut loger une foule de 21 000 personnes en ses murs. Le Centre Bell et d'autres endroits de ce genre pourraient devenir une cible idéale pour des gens à la recherche d'un coup d'éclat. Mais nous ne devons pas arrêter de vivre pour autant ni perdre une certaine insouciance qui fait que la vie est belle! Sinon, le climat social va devenir tellement lourd de menaces potentielles que nous deviendrons collectivement moroses et nerveux au nom d'une menace hypothétique! Cela dit, notre société est gravement malade pour être le théâtre de tant de violences, et encore une fois les victimes sont de purs innocents qui se sont trouvés à la mauvaise place au mauvais moment! Quelle tristesse!

Denis Boucher 

Associé au sein d'un cabinet de relations publiques



AUCUNE MESURE NE SUFFIRA

Tout comme notre façon de voyager a été à jamais changée par les événements du 11 septembre 2001, on peut désormais croire qu'il en sera ainsi pour des événements comme le marathon de Boston. Il est évidemment désolant d'en arriver là, mais ce désagrément n'est rien par rapport à la souffrance des victimes de ces attentats. Il est malheureusement illusoire de penser que nous pourrons un jour être totalement protégés de gestes lâches et odieux comme celui de cette semaine. Qu'ils soient l'acte d'un illuminé solitaire ou d'un groupe révolutionnaire, les explosions de Boston témoignent d'une folie aussi incompréhensible qu'inutile et dont il est très difficile de se prémunir entièrement. Nul doute que l'on verra une sécurité accrue à ce genre d'activités, mais il est probablement utopique de croire qu'un jour, nous pourrons retrouver le sentiment de sécurité qui nous habitait autrefois et qu'aucune mesure ne pourra vraiment nous redonner. Alors que je m'apprête à courir mon 12e demi-marathon à vie à la fin du mois de mai à Ottawa, je ne peux m'empêcher de penser que l'atmosphère, toujours festive et empreinte de valeurs de dépassement, de courage et d'entraide, ne soit altérée par le souvenir d'un jour profondément triste.

Yolande Cohen

Historienne à l'UQAM



L'AMÉRIQUE QUI COURT

Les actes de terreur visent à semer la panique en touchant des populations civiles qui sont prises en otage dans des combats idéologiques qui ne les concernent pas directement. Leur message particulier, s'il y en a un, doit être décrypté en fonction des signes laissés par les terroristes, leur signature en quelque sorte. Si l'horreur suscitée devant le nombre de morts et de blessés est grande, ce qui frappe dans ce plus récent acte terroriste à Boston, c'est l'évènement qui a été ciblé. Le marathon de Boston qui rassemble des milliers d'athlètes et amateurs de ce sport est sans doute ce qui se rapproche le plus de la vision idyllique d'une Amérique heureuse et généreuse, où il fait bon courir tous ensemble, quelles que soient nos origines, pour le plaisir et le dépassement de soi! Or voilà que ce rassemblement bon enfant est transformé en carnage par la simple volonté d'individus, des terroristes d'ici ou d'ailleurs, qui de toute évidence ne croient ni ne participent à ce rêve et veulent montrer à la face du monde entier que ce n'est qu'un rêve, désormais brisé à jamais. Car de fait, si plus aucun évènement sportif de grande envergure ne pourra se passer des indispensables mesures de sécurité, l'autre conséquence plus pernicieuse de ce genre d'attentat, c'est qu'il fait peser sur les victimes l'opprobre d'être d'insouciants participants au rêve américain! Aussi doit-on continuer de mener notre vie, et de courir les marathons si bon nous semble, parce que c'est l'un des moyens d'affirmer notre amour de la liberté contre tous les extrémismes, y compris locaux.

Yolande Cohen

Jean Gouin

Directeur général de la Fédération des médecins résidents du Québec



DES CITOYENS DEVENUS OTAGES

Il n'y a pas d'actes isolés lorsqu'il s'agit d'attentats à la bombe. Il s'agit d'un acte planifié qui, cette fois-ci, a eu pour cible le marathon de Boston. Dorénavant, tout évènement auquel de nombreux spectateurs participeront, peu importe le genre, deviendra une cible potentielle pour tout groupe voulant faire passer un message politique. Comme citoyen, nous sommes devenus des otages de première classe et les factions terroristes de tout acabit le savent et en feront usage. Hier, c'est le marathon de Boston qui en était la cible. Demain, qui, quel événement et dans quelle ville frappera-t-on? Dorénavant, une sécurité de haut niveau sera requise et deviendra une composante sine qua non de tout évènement. Il est quand même paradoxal qu'un évènement sportif apolitique, auquel plusieurs nations participent, ait été pris pour cible de ces explosions. Les loups solitaires qui ourdissent de tels attentats nous volent à chaque fois un peu plus de notre liberté. Le prix de cette liberté sera d'accepter le renforcement des mesures de sécurité et l'on en sait quelque chose avec celles qui ont été mises de l'avant dans les aéroports. Personne ne veut vivre dans la peur et la crainte d'un attentat. L'insécurité mine et son corollaire, les normes de contrôle maximales, nous impatientent. Mais avons-nous vraiment le choix?

Jean Gouin

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue



SÉCURITÉ ABSOLUE, MONDE INVIVABLE

Comment peut-on rendre sécuritaires des événements de grande envergure, qui se passent dans un espace ouvert, où il n'y a pas de portes d'entrée que l'on pourrait surveiller, où l'on pourrait fouiller les gens? Comment sécuriser un parcours de plus de 42 km? Aussi bien annuler tous les marathons de ce monde! Celui, celle ou ceux qui ont posé ces engins explosifs à Boston se sont attaqué non seulement à la vie des gens, mais aussi à la qualité de vie des survivants. Le but : générer une société paranoïaque, enlever la spontanéité, la joie de vivre, l'insouciance, le sentiment de liberté. Construire un monde glauque où tout le monde se méfie de tout le monde. Qui voudrait vivre dans un environnement à sécurité maximum? Se sentir surveillé en permanence? Déjà, prendre l'avion est devenu une corvée. Voyager dans les pays où les dispositifs de surveillance sont omniprésents, en Israël, par exemple, nous fournit un avant-goût du déplaisir d'une existence où les préoccupations de sécurité dominent. Il est difficile de rejeter du revers de la main les recommandations pour accroître la sécurité. En même temps, ce monde de surveillance totale et continuelle me semble invivable.

Photo fournie par Jana Havrankova

Jana Havrankova

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires



SOYONS VIGILANTS

Nous ne savons toujours pas si cet acte barbare est l'oeuvre d'un seul illuminé ou encore d'une organisation terroriste. Quoi qu'il en soit, il est tout à fait légitime de craindre qu'un attentat similaire puisse se produire lors d'évènements regroupant des milliers de personnes ici ou ailleurs. Une fois alimentées, la crainte et la terreur deviennent la récompense de ceux posant ces gestes. Il nous faut donc être vigilants certes, mais il ne faut surtout pas sombrer dans la paranoïa et s'empêcher de vivre de façon normale pour autant.  Les terroristes s'attaquent aux pays tels les États-Unis, où la démocratie et la liberté d'expression sont partie intégrante de la société. Ironiquement, ces mêmes personnes sont issues pour la plupart de pays où cette démocratie et la liberté d'expression du citoyen n'existent pas. En tant que société, nous décidons nous-mêmes de nos droits. Aucun acte, aussi horrifique soit-ilm ne doit modifier l'autonomie d'un peuple à grandir et évoluer par lui-même.

Raymond Gravel 

Prêtre dans le diocèse de Joliette



LA SÉCURITÉ SERA TOUJOURS DÉFICIENTE

Il est impossible d'empêcher des drames d'horreur comme celui du marathon de Boston par des mesures de sécurité accrues. Ces drames horribles qui déciment des familles, qui tuent des innocents, sont l'oeuvre soit de déséquilibrés mentaux laissés à eux-mêmes ou encore de groupes terroristes extrémistes qui frappent des pays riches dont la politique internationale est discutable, parce qu'elle cause des injustices inacceptables pour des peuples opprimés et oubliés. Dans les deux cas, la sécurité la plus sophistiquée sera toujours déficiente, car là n'est pas la solution. Et le pire de toutes ces histoires d'horreur, c'est que ce sont toujours des victimes innocentes qui en font les frais. Que faire? S'armer davantage pour se défendre? Continuer à exploiter les pays pauvres pour enrichir les multinationales? Poursuivre nos politiques internationales injustes et inéquitables? Ignorer nos malades mentaux qu'on a sortis de nos institutions sans s'en préoccuper? Il me semble qu'il y a là matière à réflexion sur nos responsabilités humaines et sociales. Tant et aussi longtemps que des pays favoriseront l'injustice et l'iniquité, nous assisterons impuissants à des massacres et à des drames, dont l'horreur n'a d'égale que la souffrance qui la provoque. La dignité humaine n'a pas de prix. Si certains se permettent de la ravir à d'autres, c'est que la leur, leur a été enlevée.

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO



ÉVITONS DE SURRÉAGIR

Pour le moment, compte tenu de l'information disponible, il est trop tôt conclure que la probabilité d'explosions lors de grands événements sportifs a significativement augmenté, surtout ici au Canada.   Il serait prématuré d'augmenter significativement les mesures de sécurité pour celles-ci.  Tout au plus, à la lumière des événements de Boston, on pourrait augmenter marginalement certaines mesures spécifiques de sécurité.  Compte tenu du fait qu'il serait extrêmement coûteux d'accroître de façon appréciable le niveau de sécurité de tels événements sportifs, il faut éviter de choisir une telle stratégie qui aurait pour effet de hausser fortement le coût de ces rassemblements et de contraindre à plus long terme les gouvernements à les annuler. Donc, en attendant d'en savoir plus sur les événements de Boston (qui, pourquoi, conséquences...), il faut accepter un petit peu plus de risques et de dépenser un petit peu plus pour la sécurité.  Continuer presque comme avant est un excellent message de résilience qu'on envoie aux auteurs de tels attentats.   Je suis emballé par ceux qui, peu de temps après ces événements, ont annoncé qu'ils participeraient au prochain marathon de Boston.  Quel message!