Pour le francophone et le Montréalais que je suis, le projet de loi 14 est un projet néfaste et dangereux. Il contribue à la détérioration de nos institutions démocratiques et libérales. Celles-ci ont déjà été malmenées ces derniers temps. Et voilà que notre gouvernement propose d'utiliser la coercition dans son arbitrage des équilibres linguistiques, dans le simple but de raviver le soutien de sa base électorale.

Le projet de loi 14 dénote un manque de compréhension de la réalité montréalaise, un manque de respect des libertés et, à vrai dire, un manque d'ambition culturelle.

De manière générale, notre législation linguistique est justifiée - et acceptée par la grande majorité des Québécois, quelle que soit leur origine ethnique ou linguistique - par le besoin de faire du français la langue commune du Québec, y compris pour les nouveaux immigrants. Elle est un mal nécessaire -un mal, car elle repose sur la contrainte et non sur l'incitation. Les mesures utilisées pour l'appliquer ont inclus la délation; elles n'incluent plus «que» la prohibition, l'inspection et la punition. Elles n'ont pas pour effet de faire aimer le français, ni même d'en améliorer l'utilisation, mais de créer un lien malheureux entre la langue française et le pouvoir coercitif de l'État. Cela est bien triste.

Au lieu de s'attaquer au vrai problème de la qualité de l'instruction du français, le projet de loi 14 s'attaque au faux problème de la quantité de francophones à Montréal. Comme l'admet Jean-François Lisée, le déclin démographique des francophones de souche est dû en premier lieu aux choix délibérés des ménages qui s'installent en banlieue. Ensuite, l'immense majorité des Montréalais et Montréalaises savent parler et converser en français. Finalement, le pouvoir d'attraction du français souffre non seulement du pouvoir d'attraction de l'anglais, mais aussi de la faible qualité du français que l'immigrant entend et du faible soutien qu'il reçoit pour apprendre cette langue.

L'enjeu de ce nouveau débat politique n'est rien de moins que l'avenir de Montréal. Le projet de loi émane d'un gouvernement qui ne semble pas comprendre les besoins d'une grande ville et de ses habitants. C'est un gouvernement qui ne peut accepter que Montréal n'est pas le Québec, que Montréal n'est pas une ville québécoise comme les autres.

Le bilinguisme ou, en fait, le multilinguisme de Montréal n'est pas une tare, une faiblesse ou un défi; c'est un atout, une force, une opportunité. Ce sont le multilinguisme et le multiculturalisme de Montréal, bien plus que l'usage du français, qui font notre richesse, au sens propre comme au sens figuré.

Le projet de loi 14 n'est pas draconien en soi. Mais il traduit en termes légaux cette pensée horrible de Jacques Parizeau, selon laquelle la bonne entente à Montréal est un danger. C'est ce texte de loi lui-même qui est dangereux. Les faibles gains politiques qu'il peut livrer à court terme seront entièrement et rapidement éclipsés par les dommages sociaux, culturels, économiques et politiques qu'il occasionnera à plus long terme. Au lieu de nous unir autour d'un projet collectif, il nous divise. Son adoption serait une faute morale et politique.