Ainsi donc, le coroner Yvon Garneau recommande de porter de trois à neuf le nombre de points d'inaptitude aux dossiers des conducteurs pris à utiliser leur cellulaire au volant, sous prétexte que le «message ne passe pas». Pas étonnant: ce message est incohérent et, de surcroît, mal adapté à la réalité d'aujourd'hui.

Qu'il soit utilisé pour texter ou parler, le téléphone, lorsque pris en main dans le cadre d'un déplacement, peut être dangereux. L'attention portée à cette question fait cependant oublier que bien d'autres pratiques demeurent impunies. Il s'agit d'un seul déplacement en heure de pointe pour constater que des conducteurs qui perdent trop de temps en voiture ont résolument décidé d'en profiter. Ici, une femme se maquille dans le miroir de son pare-soleil, alors que là, un homme déploie La Presse derrière le volant. C'est chose courante.

Vous n'êtes pas pour autant en droit d'aller de Lisa Leblanc à Marie-Mai sur votre téléphone intelligent. Un policier m'expliquait récemment que je ne pouvais, dans la voiture, passer d'une chanson préférée à une autre parce que l'appareil est muni d'une ligne téléphonique. En auto, même si ces appareils sont presque identiques, on peut sélectionner sa musique sur un iPod, mais pas sur un iPhone!

Avant de sortir l'arme nucléaire des neuf points d'inaptitude, de la saisie du véhicule ou du cellulaire, y aurait-il moyen de regarder le problème plus globalement et de faire preuve d'autant d'intelligence que les téléphones eux-mêmes? Cela commencerait par un peu de cohérence, mais aussi de souplesse et d'adaptation. La coercition n'est pas la seule solution!

L'interdiction du téléphone au volant pousse désormais tous ceux qui ne sont pas munis d'un dispositif mains libres à texter, à l'abri des regards des policiers. Voilà qu'en voulant régler un problème, on en a créé un plus important puisque l'écriture d'un message texte vous enlève forcément une main du volant et les deux yeux de la route, alors que le téléphone à l'oreille, lui, ne vous prenait qu'une seule main!

Peut-être pourrions-nous d'abord admettre que le véritable problème est l'inattention au volant, plutôt que le cellulaire en tant que tel? À la notion de conduite dangereuse, pourrait-on donc ajouter la conduite «inattentive» ? Et décliner. Prendre une gorgée de café, oui. En moudre un, non.

Pourrait-on considérer adopter des règles différentes pour une voiture qui roule et une autre qui est immobilisée, en attente d'un feu vert? Un policier - un autre - me disait qu'en étant simplement sur la voie publique, même bien arrêté à un feu rouge muni d'un long décompte bien visible de 60 secondes, je ne pouvais pas davantage en utiliser sept pour texter un petit «OK» ou un «suis là dans 5».

Pourrait-on endiguer le fléau, tout en prenant en considération nos rythmes de vie effrénés et les nouvelles réalités? Encadrer une pratique, plutôt que tenter de l'interdire, ce qui au demeurant ne saurait être possible qu'en mettant un policier dans chaque voiture?

Les mesures de contrôle de l'alcool au volant sont devenues légitimes et socialement acceptées au fil du temps, notamment parce qu'on a établi un seuil, le «.08». Ainsi, les législateurs ont su faire la différence entre ceux qui avaient pris un verre et ceux qui en avaient pris 10. Il est peut-être temps de repenser la question du téléphone cellulaire avec la même approche, si on veut se donner une chance de régler le problème et vraiment accroître la sécurité.