Il y a de quoi se sentir désolé pour VIA Rail. La société d'État a beau faire des pieds et des mains, ses efforts restent vains. Bien que ses activités se déploient aux quatre coins du pays, VIA transporte de moins en moins de passagers, et leur nombre ne s'accroît pas malgré les milliards de dollars injectés par le gouvernement fédéral et l'amélioration du mode de gestion et des services.

Au cours des six dernières années, VIA a perçu 2,3 milliards de dollars de la part des contribuables en subventions de fonctionnement et en subventions d'investissement. Or, malgré des subventions de fonctionnement élevées et des investissements d'envergure sur le plan des services, de l'entretien des voies ferrées, de l'équipement et des gares, son achalandage annuel d'environ 4 millions d'usagers n'a pas beaucoup évolué au cours des 10 dernières années. Ses trains version améliorée sont en moyenne toujours à moitié pleins. Au terme d'une journée, pour chaque dollar qu'elle empoche, VIA doit en recevoir un de la part du gouvernement fédéral pour boucler son budget.

On peut établir un parallèle intéressant en examinant d'autres modes de transport de voyageurs au Canada. Ainsi, WestJet et Air Canada réussissent à faire un profit avec des avions qui sont en moyenne remplis à 85%, et elles ne touchent aucune subvention gouvernementale.  En fait, leurs passagers paient environ 85 millions de dollars chaque année en taxes spéciales pour le carburant aviation et plus de 600 millions de dollars en services de sécurité aéroportuaire lents et coûteux.

Pour pousser davantage la comparaison, 34 millions de voyageurs transitent chaque année par l'aéroport international Lester B. Pearson de Toronto et 18 millions par l'aéroport international de Vancouver. De ces deux entités à elles seules, les contribuables canadiens recevront environ 185 millions de dollars cette année en paiements de loyers fonciers qu'ils doivent ensuite reverser au gouvernement fédéral. Incroyable, mais vrai!

Les services privés d'autobus interurbains font également concurrence à VIA et ne reçoivent aucune subvention pour le transport d'environ 18 millions de passagers chaque année. Il en va de même pour les autocars affrétés. Autrement dit, VIA, que l'on finance à grands renforts de subventions, livre une concurrence déloyale à des concurrents non subventionnés sans jamais arriver à prendre les devants.

Alors, vous demandez-vous peut-être, que devrait faire VIA? Pour commencer, elle doit se concentrer sur ce qu'elle peut faire de mieux et retrancher le reste. Son rendement est optimal dans le service ferroviaire qui dessert le corridor du centre du Canada, lequel génère 80 % de son chiffre d'affaires; pour ce circuit, ses pertes d'exploitation  représentent, par passager, la moitié de celles qu'enregistrent ses services de transport transcontinentaux.  En fait, pour l'Océan de VIA, qui assure la liaison entre Montréal et Halifax, les pertes par passager sont trois fois plus élevées que sur les trajets Québec-Windsor.

Autre exemple : VIA perd 475 $ par passager sur son circuit Le Canadien entre Toronto et Vancouver. La majeure partie de ces pertes sont attribuables au transport de touristes étrangers que VIA attire à grands coups de marketing subventionné et en offrant des tarifs alléchants. On assiste donc en quelque sorte à une concurrence féroce entre les services de transport ferroviaire et par autobus privés dans les Rocheuses et ailleurs dans l'Ouest canadien.

VIA devrait mettre fin à ce marketing inéquitable ainsi qu'aux subventions destinées aux touristes étrangers sur son circuit transcontinental. Ces circuits devraient être réservés aux voyagistes privés, comme ont réussi à le faire valoir Don Mazankowski, ministre conservateur des Transports, et le gouvernement de la Colombie-Britannique dans les années 1990 pour la plupart des services ferroviaires de transport de voyageurs, en Colombie-Britannique tout comme en Alberta.

VIA Rail aurait en outre avantage à mieux dépenser ses maigres ressources et à canaliser ses efforts de gestion vers l'amélioration de ses services de liaison directe, là où le besoin est le plus grand et où elle peut compter sur un nombre considérable d'usagers pour les soutenir, soit Montréal, Ottawa et Toronto (compte tenu des distances plus courtes à couvrir et d'une population en milieu urbain combinée  d'environ 12 millions de personnes) et, dans une moindre mesure, le circuit plus court qui relie Windsor à la ville de Québec. Elle doit également s'efforcer de chercher à améliorer ses liens avec les services de transport urbain et les aéroports dans les grandes régions métropolitaines.  

Pour que le gouvernement fédéral et les Canadiens bénéficient d'un service ferroviaire de transport de passagers plus efficace, il faudra miser sur une nouvelle stratégie dynamique pour l'exploitation de VIA Rail. En fractionnant les principales unités fonctionnelles en secteurs clés - le tourisme, les régions éloignées et le transport interurbain - le gouvernement pourra évaluer et planifier comment le secteur privé peut jouer un rôle de premier plan dans la gestion des unités fonctionnelles où l'on enregistre les pertes les plus importantes, particulièrement les services de transport transcontinentaux en zone longue dont raffolent les touristes, en optant pour des mesures semblables à celles qui ont été prises il y a de cela 20 ans en Alberta et en Colombie-Britannique.

En contrepartie, VIA pourrait se consacrer entièrement à son unité fonctionnelle la plus fructueuse, le corridor, où elle pourrait s'allier davantage avec le secteur privé, les gouvernements de l'Ontario et du Québec et les exploitants de services de transport urbain pour mettre à jour les services qu'elle y offre, un peu à la façon dont les États-Unis gèrent, depuis plus de deux décennies, le circuit ferroviaire très prisé Boston-New York-Washington.

Cette démarche se traduira par des avantages et des résultats tangibles pour les usagers des services ferroviaires canadiens, la direction de  VIA Rail et, en particulier, les deniers publics. En fait, les Canadiens qui s'appuient sur VIA comme service ferroviaire de transport de passagers devraient demander au gouvernement pourquoi il ne contribue pas davantage à aiguiller les services de VIA Rail. En définitive, VIA devrait être fidèle à son mandat d'assurer le transport des Canadiens, et éviter de consacrer des fonds publics au financement du tourisme étranger. Laissons à d'autres qui sont plus efficaces dans la prestation de ce genre de services et qui injectent des fonds dans l'économie canadienne le soin de le faire. Faisons en sorte que VIA se concentre sur les services aux passagers les plus en demande au sein de la population canadienne, soit le corridor.