Les cardinaux se sont réunis ces derniers jours afin d'échanger leurs vues, leurs préoccupations et leurs perspectives quant à l'Église d'aujourd'hui et de demain. Ces échanges éclaireront, tous les catholiques le souhaitent, l'important choix qu'ils auront à faire une fois entrés en conclave.

Engagé comme prêtre depuis plus de 20 ans dans cette Église, il m'est difficile d'être indifférent à ces événements qu'on soupçonne historiques. Notamment en me questionnant moi-même quant au présent et à l'avenir de l'Église catholique. Attentif à ce que Jean XXIII appelait les « signes des temps », j'en viens à identifier quelques enjeux, à mes yeux incontournables, pour l'Église.

Depuis la publication de l'encyclique Humanae Vitae de Paul VI, les questions de morale matrimoniale et sexuelle occupent une grande place dans le discours officiel de l'Église. Pourtant, il est évident que la plupart des catholiques ne suivent pas cet enseignement. Le Magistère de l'Église se trouve donc en panne de crédibilité aux yeux de beaucoup de prêtres et de laïcs engagés, étant perçu comme dépassé et insensible lorsqu'il est question de contraception, d'homosexualité, d'accueil des divorcés remariés et de tant d'autres situations. Les récents scandales sexuels qui meurtrissent l'Église ne font rien pour redorer cette crédibilité.

Cette insistance sur les questions de morale laisse malheureusement dans l'ombre ce qui fait pourtant la raison d'être de l'Église, la personne même du Christ Jésus. Car fondamentalement, l'Évangile propose un chemin d'engagement pour un monde plus juste, plus vrai, interpelle au parti pris pour les laissés pour compte, à l'exemple et à la suite de Jésus de Nazareth. Il propose une spiritualité à la fois riche et profonde fondée sur le mystère de la mort et de la résurrection du Christ, mystère qui devient tout à la fois une manière de comprendre sa vie au quotidien et un programme de vie.

Il me semble que l'Église a à convertir ses prises de parole et son agir afin que cette spiritualité évangélique apparaisse au premier plan.

Depuis le Concile Vatican II, de nombreux observateurs notent avec justesse que le leadership de l'Église est en panne de débats et de discussions de fond sur les enjeux contemporains et les orientations de l'Église. Il s'est opéré une centralisation de l'autorité autour de la figure du pape et de son entourage, la Curie. Tout point de vue critique est suspect d'un manque de respect pour l'autorité pontificale, d'un manque de fidélité à l'Église. Le contexte ne se prête pas très bien aux débats d'idées.

Or l'Église ne peut pas être l'Église si elle n'est pas animée par des échanges d'idées qui illustrent qu'elle est elle-même à la recherche de la vérité.

Le Nouveau Testament nous montre de tels débats entre Pierre et Paul, pour ne nommer que ceux-là, et l'histoire de l'Église est jalonnée par des discussions souvent animées. Je vois mal comment le magistère de l'Église pourrait se voir reconnaître quelque autorité que ce soit dans notre monde contemporain, marqué par diverses formes de démocratie, s'il persiste à ne pas inviter l'ensemble des baptisés, évêques, prêtres, laïcs, à prendre la parole et à tendre l'oreille.

La théologie enseigne d'ailleurs que c'est dans de tels échanges que devrait s'exercer l'autorité dans l'Église, processus qu'on appelle techniquement la « synodalité ».

Les informations qui ont filtré des congrégations des cardinaux la semaine dernière laissent entendre que plusieurs cardinaux souhaitent qu'il y ait de franches discussions sur plusieurs « points chauds » de la vie et de la mission de l'Église.

Une chose m'apparaît clairement : le leadership de l'Église est appelé à se remettre en question afin de s'assurer que l'Église soit un signe éloquent de l'amour, de la présence, de l'accueil, de la prévenance de Dieu manifesté dans la personne du Christ. Pour y arriver elle aura besoin d'un pasteur fort, attentif aux aspirations des gens « ordinaires », avec le souci de leur apporter l'éclairage de l'Évangile, capable d'entraîner toute la « machine » du Vatican à sa suite!

Ces préoccupations sont-elles partagées par les cardinaux? Il est toujours permis d'espérer!