Je suis francophone. Québécoise, trilingue, chilienne. Mon espagnol impeccable ne m'empêche pas d'avoir un parfait anglais. Mon parfait anglais ne m'empêche pas d'avoir un français plus-que-parfait. Je baigne donc dans trois cultures qui n'en font qu'une. Je fais partie d'une génération diversifiée, mixte, et ouverte sur le monde. Je représente une majorité silencieuse et j'aimerais vous signaler que nous existons.

Silencieuse, car l'espace politique actuel ne nous représente pas. Peut-être parce que nous n'avions pas réalisé jusqu'ici que notre réalité avait du poids; je m'en déclare coupable.

Cette génération, fruit de l'ouverture du Québec sur l'immigration, s'est développée sur notre sol avec la certitude que les différences favorisent l'union. Nous avons eu la chance de grandir et d'être formés dans un Québec diversifié où, dès notre plus jeune âge, nous avons appris à voir au-delà de la couleur de la peau, d'un accent ou d'une langue maternelle. Peu importe l'origine, nous avions tous la même bataille: nos différences étaient notre union. Je n'aurais pas eu cette chance nulle part ailleurs dans le monde.

Ici, j'ai pu être initiée à l'anglais dès la troisième année du primaire. J'ai ensuite eu le privilège de fréquenter une école anglophone pendant mon adolescence, à l'extérieur du pays. Je me suis immergée dans une troisième langue et donc dans une troisième culture. La loi 101 ne me l'aurait pas permis ici, mais je ne lui en veux pas, au contraire, je la défends.

Toutefois, quand je vois l'adoption de mesures visant à ne plus rendre obligatoire l'enseignement de l'anglais au primaire, c'est à se demander si la prochaine génération aura la chance que j'ai eue. Nous passons à côté de l'opportunité d'enlacer notre histoire et de la rendre bénéfique pour notre éducation.

Je ne vous apprends rien en soulignant que le Québec s'est aussi formé d'anglophones. Des «vrais Québécois» anglophones. Je me demande si nous ne sommes pas en train de créer un Québec fermé, exclusif. Si nous sommes en train de nous priver d'une ouverture, tout en ayant autant de richesses culturelles sur notre sol. N'est-ce pas paradoxal?

Donnons-nous les outils pour préserver le français, mais aussi pour reconnaître la culture anglo-québécoise et les autres différences qui rendent notre pays unique. Ce n'est pas en enlevant le statut bilingue à des municipalités que nous réussirons. Je me souviens, oui, mais essayons un peu d'avancer et d'utiliser notre mosaïque culturelle pour bâtir un Québec de demain plus fort.

Le Québec de demain, c'est cette génération. Cette troisième culture qui n'en fait qu'une, elle est typiquement québécoise; peu de régions dans le monde ont cette effervescence. Elle deviendra encore plus forte de ce qu'elle est déjà, si seulement nous avions l'espace qui nous est dû. Donnez-nous l'opportunité de bâtir le Québec de demain. Acceptez que nous vivions dans un pays diversifié et que nos différences nous unissent. Laissez le Québec se bâtir une identité qui n'oublie pas la majorité d'entre nous.