Le cardinal Marc Ouellet ne laisse personne indifférent, c'est le moins qu'on puisse dire, mais il ne mérite pas les insultes que j'entends parfois au Québec. « Nul n'est prophète en son pays », avait déjà dit Jésus. Et nul n'est tout noir ou tout blanc.

Je n'ai pas l'intention ici de me porter à la défense du cardinal Ouellet, encore moins me prononcer sur ses chances d'être élu pape, alors que le conclave s'ouvre mardi. Je veux simplement vous partager ma première rencontre avec cet homme de convictions et de foi, très chaleureux en privé.

Après la parution de mon livre J'ai soif. De la petite Thérèse à Mère Teresa, on m'avait suggéré de le remettre au pape Jean-Paul II pendant que je serais à Rome pour un pèlerinage sur les pas de Thérèse de Lisieux. De plus, mon épouse et moi fêtions notre 25e anniversaire de mariage, et Jean-Paul II le 25e de son pontificat. L'occasion était belle. Mais comment faire?

Lors d'une retraite que je donnais à l'église Ste-Thérèse de Beauport en septembre 2003, j'ai rencontré un des vicaires épiscopaux du diocèse de Québec. Il me dit que Mgr Ouellet était proche de Jean-Paul II. Je lui ai écrit un mot ce soir-là pour savoir s'il ne pouvait pas m'introduire, avec mon épouse, auprès du pape afin de lui remettre mon livre. Le lendemain, Mgr Ouellet était nommé cardinal. Deux semaines plus tard, sa secrétaire me téléphonait pour me dire que le futur cardinal nous présenterait au pape.

Nous nous sommes rencontrés à Rome le 20 octobre, au souper donné en son honneur par le gouvernement du Canada. Ce fut un contact très cordial et simple, comme si nous nous connaissions depuis longtemps. Mgr Ouellet nous est apparu tout de suite comme un frère et un ami. Cependant, il nous a avoué qu'il était presque impossible d'avoir une audience du pape, compte tenu de sa santé défaillante.

Le mardi 21 octobre, j'ai participé à la cérémonie d'investiture des 30 nouveaux cardinaux sur la place Saint-Pierre. Le protocole de cette cérémonie contrastait avec l'émouvante béatification de mère Teresa le dimanche 19. Le cardinal Ouellet dira lui-même que le sommet de cette semaine avait été la béatification de mère Teresa.

Dans l'après-midi qui a suivi le consistoire, nous sommes allés féliciter le nouveau cardinal à la salle Paul VI au Vatican. Nous y avons rencontré plusieurs Canadiens, et des amis un peu oubliés. Ce n'est que le lendemain soir que nous avons su que le pape accorderait une audience aux nouveaux cardinaux avec quatre de leurs invités. Serions-nous du groupe?

Le jeudi matin, nous étions à l'atrium de la salle Paul VI, attendant avec fébrilité le cardinal Ouellet. Il est arrivé souriant avec quatre invitations qu'il a distribué à son frère, sa soeur, mon épouse et moi-même. Il aurait pu choisir des gens de son diocèse, des amis prêtres, comme l'ont fait d'autres cardinaux. Il avait choisi quatre laïcs, en cohérence avec le concile Vatican II qui a insisté sur l'importance du laïcat dans l'Église. Ce fut pour moi tout un signe.

L'émotion nous gagna tous lorsque Jean-Paul II a fait son entrée dans un fauteuil roulant. Les cardinaux ont défilé devant lui avec leurs invités. Lorsque notre tour est arrivé, le cardinal Ouellet nous a présentés au pape et il lui a remis mon livre J'ai soif. Il a longuement contemplé la page couverture qui représente Thérèse de Lisieux, qu'il avait nommée docteur de l'Église en 1997, et mère Teresa qu'il venait de béatifier. Nous n'oublierons jamais ce moment de bonheur où nous avons pu parler à ce grand pape, aujourd'hui bienheureux.

Après l'audience, le cardinal nous a demandé si nous voulions célébrer l'Eucharistie avec lui. Nous étions seulement les trois à la chapelle du collège pontifical canadien. Il a pris le temps de nous faire une homélie d'une quinzaine de minutes sur les liens entre son anneau de cardinal et notre anneau de mariage. Je n'en revenais pas qu'il prenne tout ce temps avec nous alors que des journalistes l'attendaient pour l'interviewer.

Après la messe, le cardinal nous a invités à son bureau pour nous remettre une enveloppe provenant de l'Osservatore Romano et contenant les photos de l'audience. Nous n'avions pas rêvé. Les photos étaient magnifiques. Cette attention du cardinal nous a touchés profondément. On sentait qu'il prenait sa joie à nous faire plaisir, loin de toute caméra. J'ai vu à ce moment-là la grandeur d'âme de cet homme sensible, d'une grande humilité et tendresse.

Je m'unis à la prière des cardinaux qui seront réunis en conclave. Il n'y a rien de magique là-dedans, c'est une question de foi, donc de confiance. La prière n'est pas passivité et romantisme, elle est engagement et discernement. Je crois que l'Esprit Saint, souffle de Dieu, agit dans le coeur de tous les baptisés. Il saura rapprocher les cardinaux entre eux, les inspirer, pour qu'ils choisissent le pape dont l'Église de notre temps a besoin.