Avec la récente démission du pape Benoît XVI, plusieurs spéculent sur l'identité du prochain pape. Les divers modèles théologiques présents à Rome correspondent, sur le plan ecclésial, aux différentes philosophies sociales, économiques et environnementales qu'on retrouve dans les différents partis politiques des démocraties occidentales.

À l'arrière-plan théologique se profile à l'horizon une lutte purement politique, mais totalement intestine. Depuis plusieurs années, deux écoles théologiques s'affrontent dans l'institution catholique, mais également au sein d'autres confessions. Comme le souligne le théologien Hans Küng dans son plus récent ouvrage, Peut-on encore sauver l'Église?, la Curie romaine s'emploie à mettre en place une politique de restauration plutôt que de refondation, comme le souhaitait le concile Vatican II.

Cette tendance théologique, bien représentée par le Benoît XVI et le cardinal Ouellet, se fonde sur un paradigme «de la Révélation», selon les dires mêmes de Mgr Ouellet.

Ce modèle, enraciné dans une perspective médiévale, se caractérise par un regard où le cosmos est statique, immuable et où «l'ordre naturel» est fortement hiérarchisé. L'anthropologie qui en résulte s'appuie sur une vision strictement dualiste, hiérarchique et essentialiste. (Cela explique l'opposition viscérale à l'ordination des femmes, à la théorie du genre et aux divers féminismes.) Dans cette optique, le catholicisme détient la «Vérité»et doit préserver, à tout prix, le «dépôt de la foi» face aux menaces constituées par les transformations paradigmatiques de notre monde.

Les représentants de cette école théologique, avec l'accord tacite de la papauté depuis Jean-Paul II et Benoît XVI, sont parvenus à évincer les tenants du dialogue et de l'ouverture au monde comme le souhaite le concile Vatican II. Ainsi, il ne demeure, au sein de la Curie romaine, que des personnes adhérant au modèle conservateur de restauration.

Par conséquent, le choix du prochain pape s'effectuera selon des interprétations plus ou moins intransigeantes de ce modèle de restauration, entre les cardinaux «faucons», qui préconisent le retour strict à l'Église préconcialiaire, et les cardinaux «colombes» qui désirent conserver la «modernisation» effectuée dans les années 60, mais qui refusent de poursuivre la transformation nécessaire de l'Église amorcée par Vatican II.

Dans un tel contexte, peu importe le choix du conclave quant au pape, cela ne changera guère la perception générale d'une majorité de personnes qui estime que l'institution catholique ne possède qu'une très faible crédibilité en de nombreuses matières.

Cette situation conduit l'Église à une rupture quasi complète avec les sociétés post-chrétiennes sécularisées. Cette lecture, qui peut apparaître sévère, ne s'appuie-t-elle pas sur le constat, du moins en Occident, que fort peu de gens accordent un quelconque sérieux à l'institution catholique sur le plan du discours philosophique, religieux et maintenant éthique?

Pour la très vaste majorité des Québécois, le lien, plus que ténu, se limite à des rituels de passage qui démontrent l'accélération du bénéfique et sain processus de sécularisation. Or, l'institution catholique peine encore à intégrer la sécularisation.

L'histoire de l'Église, incluant celle de la papauté, ne peut pas être détachée des enjeux engageant la survie même de l'humanité. Dans un monde de plus en plus interdépendant, l'Église catholique (qui va bien au-delà de la seule Curie), comme communauté, ne peut-elle pas encore apporter une contribution à la construction d'un monde plus solidaire, écologique et socialement juste? La condition, pour y parvenir n'est-elle toutefois pas que l'Église opère un virage important afin qu'elle s'inscrive davantage dans une spiritualité incarnée dédiée à la reconnaissance de l'égalité et de la dignité humaine?