L'opinion de Pierre Paquette au sujet du projet de loi 14 soulève en nous quelques inquiétudes. Selon lui, il est essentiel que la communauté anglophone accepte le projet de loi 14.  Autrement, la délicate « paix linguistique » s'en trouvera menacée. De plus, au regard des réactions de la communautés anglophone, il considère que «les dirigeants de la communauté anglophone devraient s'en inquiéter et calmer le jeu».

Contrairement à M. Paquette, nous estimons que les craintes de la communauté anglophone sont légitimes et qu'il incombe au gouvernement québécois, non pas aux leaders anglophones, de « calmer le jeu. » Ce projet de loi, s'il est adopté, est une atteinte directe à la démocratie locale ainsi qu'aux droits des communautés anglophones.

Afin de mieux comprendre les craintes de la communauté anglophone concernant ce projet de loi, intéressons nous à l'exemple de la ville de Côte-Saint-Luc, sur l'île de Montréal. Dans cette ville, plus que 60% des citoyens parlent anglais à la maison et plus que 80% ont l'anglais comme « langue officielle préférée » (ce qui ne veut surtout pas dire que la majorité des résidants de cette ville ne parle pas français également). Cependant, seulement 47% des résidants de Côte-Saint-Luc sont de langue maternelle anglaise, en deçà du 50% requis par le projet de loi. Côte-Saint-Luc perdrait son statut de ville bilingue et serait dès lors prohibé de communiquer avec ses citoyens dans la langue qui est celle préférée par la majorité de sa population. Le maire de cette ville, Anthony Housefather, déclare que le projet de loi 14 est une « attaque choquante contre la communauté anglophone. » Bref, cette municipalité, dans les faits bilingue, se verra incapable d'offrir de manière efficace l'information nécessaire à la bonne gouvernance.

En comparaison, une ville en Finlande obtient le statut de ville bilingue finlandais et suédois si seulement 8% de sa population parle cette dernière langue. De plus, le conseil municipal d'une ville qui n'atteint pas ce minimum peut revendiquer le statut bilingue quand même. De façon un peu similaire, les conseillers municipaux de Côte-Saint-Luc, démocratiquement élus, ont voté une motion pour que la ville puisse communiquer avec ses citoyens en anglais et en français. Cette décision sera néanmoins annulée si le projet de loi est adopté : ceci est une entrave à la démocratie locale.

Lorsque Ottawa demande au gouvernement québécois de réviser une section de loi linguistique, on s'indigne. Devrions-nous alors trouver cela acceptable que Québec interdise à une ville de communiquer dans une langue officielle à sa population? Rappelons qu'en 2001, Jean-François Lisée était contre la fusion des municipalités de Montréal « pour plusieurs raisons, y compris le respect de l'identité des villes bilingues. » C'est encore de l'identité des villes dont il est question.

Bref, le projet de loi 14 est inacceptable pour le Québec dans son ensemble. L'État québécois excelle lorsqu'il fait preuve de créativité pour protéger et mettre de l'avant une culture unique dans le respect de la minorité anglophone, qui elle-même contribue pleinement à l'identité québécoise. Comment le Québec peut-il être ouvert sur le monde s'il se sent menacé par une infolettre de la piscine de Côte-Saint-Luc où le français et l'anglais figurent à part égale ?

M. Paquette avoue que, selon certains observateurs, « les mesures adoptées risquent de n'avoir aucun effet pour renforcer la place du français au Québec. » Le projet de loi 14 nuit davantage à la minorité anglophone qu'il n'aide à la protection du fait français au Québec.

Si le vivre ensemble être une aspiration mutuelle des communautés anglophones et francophones, pourquoi se distraire par des projets législatifs qui encouragent la division?