Les adversaires de la réforme de l'assurance-emploi s'indignent à l'idée que le régime demande à ses prestataires fréquents de chercher un emploi situé jusqu'à une heure de leur domicile. Pendant ce temps, chaque jour de la semaine, matin et soir, des milliers de Québécois résidant dans les couronnes nord et sud de Montréal se tapent une heure de navette entre leur domicile et leur travail.

Les adversaires de la réforme rejettent l'idée que des prestataires fréquents puissent être obligés d'accepter des emplois moins rémunérateurs ou qui ne font pas appel à toutes leurs qualifications. Pendant ce temps, chaque année, des milliers d'immigrants diplômés acceptent des emplois en deçà des leurs. N'ayant pas encore acquis le droit à l'assurance-emploi, ils doivent bien gagner leur vie.

Toute modification à un régime d'assurance pose nécessairement la question d'équité. Mais c'est en pensant aussi aux travailleurs de la classe moyenne, qui cotisent jusqu'à 720$ par année à l'assurance-emploi, que nous pouvons apprécier la réforme en toute équité.

L'opposition à la réforme s'est braquée jusqu'à présent sur le sort des travailleurs saisonniers en région. Or, la réforme vise nommément les prestataires fréquents: ceux qui ont reçu des prestations pendant au moins 60 semaines au cours des cinq dernières années, suivant au moins trois demandes distinctes. Bien que quatre prestataires fréquents sur cinq soient des travailleurs saisonniers, la plupart de ces derniers sont néanmoins citadins. Trois secteurs industriels - la construction, l'enseignement et la fabrication - comptent pour la moitié des travailleurs saisonniers parmi les prestataires fréquents. Ces secteurs ne sont pas associés aux régions.

En particulier, l'industrie de la construction fournit à elle seule le quart des travailleurs saisonniers parmi les prestataires fréquents. À l'échelle du pays, les prestations versées aux travailleurs de la construction ont excédé du quart les cotisations perçues de ce secteur en 2007 et 2008, avant la récession, cet excédent bondissant à plus de 100% en 2009, année de récession. Avant et après la récession, près de la moitié des demandes de prestations saisonnières reliées à la construction provenaient du Québec; un cinquième provenait de l'Ontario. Pourtant, l'industrie de la construction ontarienne employait presque deux fois plus de travailleurs que celle du Québec. Ainsi, l'industrie québécoise de la construction, incluant ses entrepreneurs et ses travailleurs, mais aussi ses donneurs d'ouvrage, réussit à transférer une partie de ses coûts vers les cotisants d'autres industries et d'autres provinces.

Cet exemple illustre comment le programme d'assurance-emploi s'est éloigné de sa vocation originale, celle d'assurer les travailleurs contre le risque de perte d'emploi, voire de faire contrepoids aux soubresauts de la conjoncture. Il est devenu un instrument d'assistance à certaines industries et à certaines régions ou municipalités dévitalisées.

Dans le cas de la construction, l'assistance sempiternelle est injustifiable. Dans le cas de certaines industries sises en région, comme la pêche, les gouvernements les subventionnent au nom de l'occupation du territoire. Mais appelons alors un chat un chat. Enfouir une mesure d'assistance dans un régime d'assurance, c'est miner le sentiment de solidarité des cotisants. Des travailleurs qui, rappelons-le, cotisent pour se prémunir du risque de perte d'emploi.

Souhaitons que l'actuelle réforme pousse les gouvernements, à Québec comme à Ottawa, à rendre plus transparente l'assistance industrielle ou régionale. En particulier, l'industrie de la construction devrait autofinancer la stabilisation du revenu de ses travailleurs.