C'est une longue amitié qui vient d'arriver à son terme. Je connaissais Richard Garneau depuis près de 60 ans. Nous sommes entrés à Radio-Canada presque au même moment, en 1957. Il arrivait de Québec et moi de Rimouski, où j'avais passé un an à faire mes gammes d'annonceur.

«Annonceur»: c'est le terme générique par lequel on nous désignait, nous les voix de Radio-Canada. Richard Garneau était l'incarnation même de cette espèce aujourd'hui disparue. Il avait tout ce que le métier requérait: la voix, la diction impeccable, la capacité d'improviser, et un intérêt réel pour le théâtre et la musique.

À la radio comme à la télévision, l'annonceur devait lire les nouvelles, entonner solennellement «Ici Radio-Canada», présenter des émissions animées par d'autres, en animer lui-même - dans tous les registres, les sports comme la musique classique.

C'est ainsi que Richard et moi, vite devenus complices, nous sommes retrouvés à animer une émission quotidienne sur le jazz, puis une émission d'été sur la chanson française, La Gambille (où mon ami, il ne m'en voudra plus de trahir son secret, a révélé son côté fleur bleue et son affection pour les chanteuses romantiques comme Lucienne Boyer). Preuve qu'il fallait vraiment tout faire dans ce métier: dans une émission pour enfants, il a joué le rôle de Tintin, et moi celui du capitaine Haddock.

Au début des années 60, nos voies professionnelles se sont séparées pour de bon, mais notre amitié et notre complicité sont demeurées. Nous avons habité la même rue, nos enfants ont fréquenté les mêmes écoles, nous avons passé des vacances en famille élargie sur les plages du Maine, et même en France.

Pendant que je prenais ma place en informations et en affaires publiques, Richard s'affirmait dans le monde du sport. La caméra de télévision aimait bien ce beau grand gars qui donnait les nouvelles du sport, le soir après le Téléjournal.

Le monde du sport, il en a vécu tous les changements au fil de cinq décennies. Il vu le hockey où triomphaient des fils du peuple devenir une business où on a parfois du mal à distinguer les joueurs des hommes d'affaires. Il a vu le sport amateur, dont il a été un des prophètes avec sa couverture des Jeux olympiques, devenir à son tour une machine à créer des vedettes, gangrenée par l'argent et la dope.

On l'aurait excusé d'être devenu cynique et blasé comme tant d'autres. Mais Richard a vécu et décrit tous ces changements à sa manière, la manière Garneau. Toujours élégant, toujours précis, et surtout enthousiaste et passionné, des qualités qui ne lui ont jamais fait défaut. À un âge où ses anciens collègues profitaient de retraites bien méritées, il était toujours partant pour un 100 mètres, il aurait pu sauter encore sur la patinoire avec enthousiasme, comme une recrue qui veut faire le grand club tout de suite.

Difficile d'imaginer qu'il ne sera pas de la prochaine grande course cycliste, des grandes compétitions en patinage artistique, de la description des Jeux olympiques, des rencontres hebdomadaires avec Joël et son équipe. Difficile d'admettre qu'il ne viendra plus à nos lunches chez Gauthier, où il me régalait d'anecdotes sur le métier qu'il continuait de pratiquer.

Il a fait le grand saut à la perche et il est disparu quelque part dans le ciel, entre deux nuages nimbés de lumière. Bon vol, Richard, mon ami. Tu vas me manquer énormément.