Le gouvernement Harper n'a pas tout à fait tort. L'aide internationale a failli en Haïti, comme elle a failli dans de très nombreux pays. Depuis le succès du plan Marshall, ce programme d'aide américaine aux économies ravagées par la Seconde Guerre mondiale, peu de pays récipiendaires d'aide internationale ont connu une croissance économique importante.

Un pays africain moyen a reçu annuellement environ 12% de son produit intérieur brut (PIB) sous forme d'aide au développement au cours des dernières décennies. À titre de comparaison, pour la France, le plan Marshall représentait 2% du PIB de ce pays annuellement pendant trois ans. L'aide à l'Afrique est donc comparable à six plans Marshall par année pendant plusieurs décennies. Cela n'a pas empêché de nombreux pays africains d'être plus pauvres en 2007 qu'en 1960.

L'aide internationale en Haïti, avant le séisme, c'était l'équivalent de quatre plans Marshall par année sur plusieurs décennies. Durant la période 1960-2007, le PIB haïtien par habitant a pourtant baissé de 20% en termes réels. L'aide a failli.

Les causes de cette faillite sont multiples: des institutions fragiles, en proie à la corruption, des dirigeants souvent plus intéressés à la croissance de leur portefeuille qu'à celle du bien commun. Comme l'accroissement du bien-être collectif a pour effet la réduction du flux d'aide internationale, des chefs d'État cleptocrates ont peu d'intérêt à voir leur population sortir de la pauvreté.

C'est pour ces raisons qu'au lendemain du séisme qui a ravagé Port-au-Prince en janvier 2010, les donateurs ont préféré confier l'aide qu'ils destinaient à Haïti à des ONG. La suite, nous la connaissons: plusieurs centaines d'ONG dans les rues de Port-au-Prince, un manque cruel de coordination et de petits moyens. Rien de structurant.

Le gouvernement haïtien n'a donc pas tort non plus lorsqu'il impute la faute du manque de résultats à cette stratégie des donateurs. La méfiance des donateurs à l'endroit du gouvernement haïtien a conduit à une stratégie d'aide inefficace.

Je crois qu'il est important de changer nos pratiques d'aide internationale, mais ce n'est pas pour autant le moment de supprimer notre aide à Haïti. Tout chef d'État d'un pays pauvre fait rapidement face au choix de devenir un Mobutu ou un Mandela. Haïti, en 2011, a élu un nouveau président, Michel Martelly. Son jeune premier ministre, Laurent Lamothe, a compris que le développement économique et social passe par un projet de société. Depuis quelques mois, il s'attelle à mettre en place les bases d'une petite Révolution tranquille.

Avec le président Martelly, il essaie de convaincre les donateurs internationaux de faire cadrer l'aide internationale dans ce projet de société. Les Haïtiens les regardent faire, dubitatifs. L'Histoire leur a appris à ne pas trop y croire. Mais s'il gagne la confiance des donateurs, les Haïtiens vont peut-être se mettre à rêver.

Or, le développement est un concept profondément psychologique. Il requiert cette part de rêve. Si nous sommes tous persuadés que rien ne changera jamais, rien ne changera. Le développement ne voit le jour que si collectivement nous le croyons possible. Qui mieux que le Québec sait combien le rêve collectif peut mener à des révolutions sociales et économiques. Haïti est, je crois, à cette croisée des chemins.

Faut-il faire confiance à Laurent Lamothe et à Michel Martelly et leur confier la gestion de l'aide internationale comme ils le réclament? Leurs actions me laissent penser qu'ils tendent davantage vers des Mandela que vers des Mobutu. Dans la mesure où l'aide canadienne peut enfin jouer un rôle dans un projet de société solide, le jeu n'en vaut-il pas mille fois la chandelle?