Une foule de croyants partagent mon espace urbain et, en même temps, semble appartenir à d'autres siècles ou même à d'autres planètes. Ils regardent ailleurs, vers Rome, Jérusalem, La Mecque, le Tibet, Amritsar, Salt Lake City, l'étoile Sirius ou quelque autre lointain Paradis. Chaque Église a son Dieu, son récit des origines, son histoire du salut et ses célébrations festives. Chacune raconte à sa façon comment on devrait être libéré de la souffrance et même de la mort.

À côté de ces fidèles, il y a les athées, qui soutiennent ne pas savoir d'où l'on vient, ni où l'on va. Pour eux, notre seule patrie, c'est la terre qui nous héberge pour un bref séjour, qu'il faut tenter de rendre le plus vivable possible.

Enfin, reste ceux qui ont quitté leur Église, mais continuent tout de même à penser que l'univers des apparences cache un mystère, un fondement absolu, un principe éternellement vivant et personnel, un envers du décor dont le monde visible n'est que la manifestation. Et j'en suis...

Mais pourquoi tous ces gens, croyants ou incroyants, se préparent-ils aussi fébrilement à célébrer la même fête de Noël? Quelle étonnante convergence d'esprits qui sont, par ailleurs, si éloignés les uns des autres!

On prétend souvent que cette frénésie universelle du temps des Fêtes n'est qu'une affaire de consommation. Nous aurions érigé un nouveau temple, le centre commercial.

Que valent nos célébrations profanes comparées aux mises en scène éblouissantes de toutes les religions qui rassemblent leurs fidèles pour fêter la naissance de leurs héros divins? De fait, nos ancêtres croyants ont inventé une foule de rituels et de monuments grandioses pour tenter de donner une forme sensible à la dimension surnaturelle de notre existence.

Ce faisant, les civilisations traditionnelles ont voulu échapper à l'absurdité d'une existence enfermée dans un univers clos sur lui-même. Ils ont refusé de succomber au lourd sentiment d'ennui et même de désespoir que provoque la conscience du temps qui nous conduit inexorablement vers la mort.

Alors, ils ont inventé des fêtes majestueuses et des rites d'une beauté surnaturelle pour se rappeler que l'univers n'est pas une machine aveugle qui broie sans pitié tous les êtres qu'il engendre. Et c'est pour la même raison que, consciemment ou non, nous continuons à planter, dans nos salons, des sapins magnifiquement décorés. Puis, nous nous laissons encore charmer par le Minuit chrétien, le Messie de Haendel ou l'Oratorio de Noël de Bach, qui nous transportent vers un monde enchanté, enfoui, semble-t-il, au fond de nos mémoires.

Nous ne naissons pas hommes: nous avons comme tâche de le devenir. C'est long et douloureux. Mais nous finissons par saisir cette immense merveille que d'être proche de l'autre; de voir briller dans ses yeux une lumière qui vient de l'au-delà.

Nous avons peut-être perdu bien des croyances et oublié les rituels de nos ancêtres, mais, même un peu sceptiques, nous avons gardé notre foi en l'amour qui ne peut être vaincu par les ténèbres de la haine et de la mort.