La population est en état de choc. Après avoir passé le nez rivé à leur écran, comme s'il y avait un espoir d'entendre une nouvelle qui évoquerait le contraire, le Québec tout entier fait la macabre découverte d'une nouvelle déjà annoncée il y a quatre ans: Guy Turcotte est libre. Vive le Québec, vive Guy Turcotte libre.    

Pendant que les médias sociaux se déchaînent sur un fantasme à peine voilé qu'un nouveau jury juge «à sa façon» le cardiologue déchu, les médias traditionnels se délectent en boucle de cette nouvelle.

Comme dans le récent drame de Drummondville, la famille de Guy Turcotte servira de rempart pour l'État. Peu importe les beaux principes derrière cette pratique, quand cesserons-nous d'utiliser les proches de personnes atteintes de maladie mentale pour combler le manque de services dans notre système de santé?

Malgré le fait que la population en général ait autant de chances de se faire attaquer par un «fou» que de se faire frapper par la foudre, une étude indique que 86% des victimes d'un meurtre commis par une personne atteinte de maladie mentale étaient connues de cette dernière. En fait, 51% des victimes étaient de la même famille que le tueur. En demandant à la famille Turcotte d'assumer la responsabilité de l'État, n'installons-nous pas un terrain fertile à un drame prévisible?

On peut remarquer un autre phénomène particulier dans le dossier de Turcotte, soit le silence des représentants des utilisateurs de services en santé mentale, l'anonymat des regroupements de défense de droits et l'absence des porte-voix de cette population sans voix. Ne serait-il pas nécessaire que les représentants de nos malades mentaux puissent se prononcer sur ce système de justice à deux vitesses? Le dossier Turcotte vient saboter un effort collectif partout au Québec pour réduire les préjugés reliés aux personnes souffrant d'un trouble de santé mentale.

Le téléroman Turcotte n'est pas sans nous rappeler l'histoire de cet ancien joueur de football américain, O.J. Simpson. Un goût amer de justice à deux vitesses nous monte à la bouche et plusieurs ont la vague impression que si Guy Turcotte avait été un chauffeur d'autobus, probablement que sa peine aurait été différente.

À cet effet, Mme Emmanuelle Bernheim, du département des sciences juridiques à l'UQAM, laissait sous-entendre cette hypothèse dans le cadre d'un forum science au collège Montmorency l'automne dernier.

Selon un rapport commandé par le Protecteur du citoyen, près de 60% de la population carcérale (trois fois plus que la population en général) souffrirait d'un trouble de santé mentale. Fort à parier que ces personnes n'ont pas eu le même avocat que Guy Turcotte. À la suite du drame à Drummondville, nous saurons dans quelques mois si cette hypothèse peut se vérifier.

Encore une fois, le débat a été dévié. Pendant que le cirque médiatique et la population se défoulent sur le cas Turcotte, des milliers de familles partout au Québec souffrent en silence et supportent à bout de bras le manque de ressources accordées à la santé mentale, mais surtout, à la prévention et la promotion de la santé mentale.

De l'autre côté du spectre, les entreprises perdent elles aussi au change en ne portant pas leur attention sur le vrai bobo. Entre les deux, les intervenants et les professionnels ne servent qu'à être le no man's land de la souffrance humaine, le guichet d'accès qui ne fait que recevoir les dépôts d'individus qui font des transactions sans fonds.

J'ai déjà hâte au prochain film de Denys Arcand.