Sylvain Charlebois affirme que l'Europe et le Canada ont beaucoup à gagner en concluant un accord de libre-échange. Il consacre toutefois les trois quarts de son texte à s'attaquer gratuitement à la gestion de l'offre. Le Canada n'aurait rien à gagner à abandonner ce système et, au contraire, tout à perdre. Et il n'a pas à le faire pour conclure une entente.

La plupart des tentatives, ailleurs dans le monde, d'assurer un revenu suffisant aux producteurs de lait par la déréglementation ont échoué. Si nous avons la gestion de l'offre au Canada, c'est parce que ça fonctionne.

L'Europe a réformé son régime de soutien à la production laitière en 2007. Le prix du lait au producteur est fixé depuis par les transformateurs, au gré des cours mondiaux. Les subventions versées aux producteurs de lait européens ne suffisent pas. Ils en sont à leur deuxième crise majeure en trois ans et 150 000 d'entre eux auraient quitté la production selon leurs représentants. Ils étaient des milliers cette semaine à Bruxelles, avec leurs tracteurs, aspergeant le Parlement européen de lait et réclamant de l'aide.

Aux États-Unis, ça ne va pas mieux. On pouvait lire dans le Wall Street Journal du 12 novembre dernier un article qui commençait ainsi : « Les producteurs laitiers de tout le pays ont été poussés au bord du gouffre par la sécheresse et la montée en flèche des coûts d'alimentation, mais en Californie, ils se battent aussi contre une autre force : les fabricants de fromages. » Les fromageries californiennes paieraient 2 $ de moins le 100 lb de lait qu'ailleurs au pays. Même les mégafermes du plus gros état producteur de lait sont en difficulté.

Notre marché est loin d'être fermé. Nous offrons déjà plus de 6% de notre consommation de fromages aux importations. L'Europe en accapare plus des deux tiers, pour une valeur en 2011 de 156 millions $. De son côté, elle laisse moins de 2% de son marché aux fromages étrangers et ses importations de viandes rouges comblent moins de 0,5 % de ses besoins. Avant de nous réclamer plus d'accès, l'Europe devrait démontrer plus d'ouverture!

Tous les pays protègent certains secteurs stratégiques quand ils concluent des accords. Les États-Unis ont exclu le sucre du libre-échange avec l'Australie. La Nouvelle-Zélande interdit l'importation de viande fraîche ou congelée de porc ou de volaille, sous des prétextes phytosanitaires et veut exempter son régime public de médicaments dans la négociation du Partenariat transpacifique. L'Europe interdit l'importation du boeuf traité aux hormones en raison du principe de précaution et veut maintenir ses subventions à la production laitière.

Au Québec, les 6200 fermes laitières ont généré en 2011, avec leurs partenaires de la filière, 83 096 emplois (directs, indirects et induits), des retombées fiscales totales de 1,25 milliard de dollars et 5,49 milliards de dollars de contribution au PIB selon la mise à jour d'une étude du groupe ÉcoRessources. Les retombées du secteur ont crû de quelque 7% en deux ans.

En guise de comparaison, le Plan Nord du précédent gouvernement représentait la création de 37 200 emplois et des retombées fiscales annuelles de 780 millions de dollars, moyennant un investissement de 80 milliards de dollars de fonds publics et privés.

Les producteurs de lait, grâce à la gestion de l'offre, obtiennent leur revenu entièrement du marché, sans subvention gouvernementale. Notre secteur est durable et entièrement renouvelable. Son dynamisme n'est plus à démontrer. Pensez au plateau de quelque 300 fromages du Québec et à sa position de leader de la fabrication des yogourts au pays.

Loin d'être caduque, la gestion de l'offre est plus pertinente que jamais et le Canada a raison d'y tenir.