Avec les allégations de corruption de SNC-Lavalin dans la construction du centre universitaire de santé McGill, nous sommes en droit de demander quels sont les facteurs qui peuvent expliquer une telle dérive de la part de SNC-Lavalin.

Cette entreprise est l'un des fleurons de l'économie québécoise et canadienne et l'un des plus grands joueurs mondiaux dans le domaine du génie-conseil. Comment expliquer que son ancien président et l'un de ses vice-présidents soient sous la menace d'accusations de corruption?

Une des explications possibles est celle du «clash» culturel existant entre la stratégie ayant permis à SNC-Lavalin de connaître le succès à l'étranger, et les exigences nord-américaines et l'influence anglo-saxonne de probité que nous avons (ou souhaitons avoir) au Québec. Bien évidemment, cette situation est exacerbée par les témoignages récents à la commission Charbonneau.

SNC-Lavalin a connu le succès dans plusieurs pays en voie de développement, dont des pays francophones sous l'influence de la France comme l'Algérie, la Libye ou la Mauritanie. Le succès de SNC-Lavalin s'explique par le fait que ses clients étaient à la recherche de solutions nord-américaines plutôt qu'européennes pour réaliser leurs projets. Dans ce contexte, SNC-Lavalin a subi la concurrence des grandes multinationales françaises du génie-conseil.

Or dans la grande majorité des économies du Maghreb et dans les pays subsahariens comme le Sénégal ou le Mali, la corruption auprès des pouvoirs publics est une pratique d'affaires établie. Elle est essentielle à l'obtention de contrats. C'est dans ce contexte que Lavalin a dû se battre afin d'obtenir sa part du gâteau des mégaprojets de construction de ces pays.

Selon l'indice de perception de la corruption de Transparency International 2011, un pays comme le Canada obtient l'un des indices les plus élevés au monde avec 2.0, un résultat inférieur aux pays scandinaves, mais supérieur aux États-Unis (1.0 étant un pays très propre). Par contre, les pays clients de SNC-Lavalin sont dans un autre univers. La Libye se classe 168e (sur 183) parmi les pays les plus corrompus, la Mauritanie est 143e, et l'Algérie 112e.

Parmi ceux qui soutiennent la corruption en payant de généreuses commissions à des pouvoirs publics, on retrouve les grandes entreprises françaises contre lesquelles SNC-Lavalin a dû se battre afin d'obtenir des projets.

La chasse à la pratique de la corruption repose largement sur la volonté des pays anglo-saxons et des organismes comme Transparency International qui dénoncent activement la corruption. Les dirigeants des multinationales françaises à l'étranger sont le plus souvent d'anciens hommes politiques. Ces derniers parlent plutôt de «commissions» que de «corruption». Ils voient généralement les commissions versées auprès des pouvoirs publics comme une pratique d'affaires nécessaires à l'obtention de contrats. La France est en retard par rapport à plusieurs de ses voisins européens en matière de pratique anticorruption (site internet de Transparency International France 6 juin 2012).

Une étude de cet organisme précise aussi que 10 ans après la ratification par la France de la Convention OCDE, la justice française n'a mené à terme pratiquement aucune des procédures engagées pour corruption d'agent public étranger, ni prononcé de condamnation.

J'ai eu la chance d'intervenir dans plusieurs pays où SNC-Lavalin a réalisé des projets. En Algérie ou au Mali, les gens ne cessent de vous demander si vous travaillez pour SNC-Lavalin. En Algérie, le succès de Lavalin est tellement important qu'on a confié à l'entreprise la construction du monument national dont le symbole est un peu celui du Stade olympique pour les Québécois. Cette entreprise a dans ce pays et dans plusieurs autres le statut d'une entreprise intégrée à l'économie du pays.

Toutefois, la corruption dans ces pays est institutionnalisée. Ainsi, plusieurs grands hôtels ont des «salles de commissions» dédiées au paiement de la rétribution des acheteurs publics destinés aux hauts fonctionnaires du gouvernement.