Dans une scène particulièrement touchante du film Lincoln, le leader des républicains radicaux Thaddeus Stevens (Tommy Lee Jones), déclare à son amante afro-américaine que « La plus grande mesure du XIXe siècle a été adoptée grâce à la corruption et à l'appui de l'homme le plus pur en Amérique».

Cette affirmation historique résume le dernier film de Steven Spielberg, une oeuvre expliquant comment Abraham Lincoln (Daniel Day Lewis) a réussi, dans les derniers mois de sa vie, à abolir l'esclavage en faisant accepter le XIIIe amendement à la Constitution par la Chambre des représentants. L'intérêt de cette dramatisation historique ne tient pas uniquement aux qualités cinématographiques de l'oeuvre. Il tient aussi au fait que Spielberg montre que le blocage politique actuel aux États-Unis n'est pas la norme dans l'histoire et que même lors des grandes périodes de tension, la création de consensus à Washington a toujours été le moyen de faire avancer les plus grandes causes, quitte à accepter une forme ou une autre de compromis.

Le film Lincoln raconte comment  le 16e président pousse l'adoption du XIIIe amendement,  abolissant l'esclavage aux États-Unis. Ce faisant, il expose l'humanité, l'habileté et l'intelligence d'un homme ayant su négocier un arrangement impossible entre des partis politiques et des groupes de pression dont les intérêts et idéologies les plaçaient aux antipodes du spectre politique  alors que le pays était déchiré par la Guerre Civile (1861-1865). Ce conflit opposant le Nord libre au Sud esclavagiste a engendré plus de 600 000 morts et reste la guerre la plus meurtrière de l'histoire américaine.

Bref, la trame narrative se concentre particulièrement sur le difficile processus par lequel Lincoln obtient les votes nécessaires à l'adoption de l'amendement. Cette opération se déroule tant chez les démocrates pro-Sud que chez les républicains qui contrairement à ce que l'on pourrait croire, n'étaient pas tous derrière le président sur cette question.

Si l'intervention directe de Lincoln dans ce processus est plus que douteuse, il reste que ce type de négociation, essentiel à l'obtention d'un compromis, est nécessaire étant donné la nature du système politique américain. En effet, toute minorité organisée peut bloquer le processus politique tel que le démontrent les républicains depuis 2008 ,mais aussi tel qu'ils l'ont démontré dans les années 1990.

Ce que Spielberg montre, outre la difficulté d'obtenir un consensus, est que, pour obtenir le soutien à une cause - pensons au fameux « Obamacare » - le président et ses associés doivent souvent offrir des récompenses qui semblent contredire leurs principes, un peu comme lorsque les démocrates soutenant les rebelles reçoivent de Lincoln des nominations alors que les républicains radicaux n'obtiennent qu'une partie de ce qu'ils demandent.

Le récent rapprochement entre le président et le gouverneur républicain du New Jersey Chris Christie à la suite de l'ouragan Sandy montre que la collaboration reste possible, particulièrement maintenant que la faction extrémiste du Tea Party a été quelque peu déstabilisée par l'ampleur de la victoire d'Obama le 6 novembre dernier.

Lincoln et Obama ont en commun un talent oratoire exceptionnel qui permet de mobiliser les foules. Il reste maintenant à savoir si le 44e président sera capable, à l'instar de son prédécesseur lorsqu'il a décidé d'utiliser ses pouvoirs de guerre pour abolir l'esclavage, d'utiliser de façon imaginative ses pouvoirs constitutionnels afin de faire face aux défis de l'Amérique, que sont la crise économique, la dette, la montée des inégalités sociales et autres sources de fractures aux États-Unis.

Reprenant ce que dit Stevens, pur ou non, Obama doit réaliser des choses, peu importe les moyens qu'il prend si la cause en vaut la peine surtout que la division politique actuelle rappelle fortement celle décrite par Spielberg dans Lincoln.