Dans sa lettre ouverte, Jonathan Guilbault, séminariste de son état, prêche pour sa (future) paroisse en fustigeant d'avance un projet de laïcité présumé «javellisant» pour les fonctionnaires porteurs de signes religieux. Ce n'est pas un péché de défendre ses idées sur la place publique. Mais la laïcité du Québec est justement une de ces idées qui mérite un examen plus approfondi.

Cependant, si l'on veut se comprendre, il faut au moins que l'on se mette d'accord sur une notion centrale: la nature de l'État.

Si l'État n'était qu'un simple fournisseur de services, il n'y aurait guère de raison de légiférer sur la tenue des employés. Seulement voilà, l'État n'est pas qu'un simple fournisseur de services. Il est aussi le garant de l'ordre social, une chose que McDonald's et Air Transat n'ont pas à prendre en considération. Être garant, c'est pouvoir utiliser, au besoin, la force pour faire respecter les décisions de l'appareil étatique.

Ce monopole de la force publique va de pair avec un certain nombre d'obligations. La neutralité politique et religieuse de ses exécutants est une de ces obligations. À tout le moins, les citoyens s'attendent à ce que la neutralité de ces exécutants se reflète dans leur présentation vis-à-vis du public qu'ils servent. C'est d'ailleurs à cela qu'ont servi les uniformes des divers corps de police et de justice: l'uniforme laisse présumer un traitement identique quel que soit le fonctionnaire. Un accroc à cette règle, pourtant bien établie, et c'est l'autorité de l'État qui est remise en cause. À ce titre, l'acceptation des turbans dans les forces de police ne serait pensable que si les uniformes des corps de police étaient convertis au turban obligatoire pour tous les policiers!

Mais de qui parlons-nous? Si l'État se réduisait à la police, à l'armée et à la justice, il serait possible que nous puissions arriver à un certain consensus, au moins au Québec. Le problème qui nous divise est une conséquence de l'étendue des fonctions étatiques: avec l'éducation publique et le réseau de la santé, le nombre de prétendants au statut de «fonctionnaires et assimilés» prend une ampleur considérable. L'autorité, normalement associée aux fonctions gouvernementales, ne s'exerce pas aussi pesamment dans une école primaire publique que dans une cour de justice.

Trouver la ligne qui sépare intelligemment la prohibition justifiée de l'attirail vestimentaire religieux de la contrainte abusive est ce qui va encore faire couler beaucoup d'encre. Cette ligne devra prendre en compte les effets des tenues vestimentaires tous azimuts sur les «bénéficiaires» des services que l'État finance, mais qui sont autre chose que du maintien de l'ordre.

Dans les cas où des effets pernicieux de cette forme de «prosélytisme par l'image» pourront être démontrés, alors il faudra avoir le courage de dire non même si cela peut signifier la nécessité de changer d'employeur pour les intégristes religieux. À ce que je sache, le droit à une place de fonctionnaire n'est pas encore inscrit dans la constitution.

La compétence d'un enseignant du secteur public, par exemple, inclut nécessairement la capacité de laisser ses convictions religieuses (et politiques) au vestiaire, le temps de son travail avec les élèves sur lesquels il a autorité. S'il ne peut remplir cette exigence minimale de neutralité, alors il doit se déclarer incompétent pour enseigner dans une école publique, quels que soient les prétendus diktats de sa foi religieuse.