Le brun est à la mode. Il est surtout arboré par des enveloppes. On en parle beaucoup ces jours-ci, comme de financement des partis politiques. On jase aussi beaucoup des façons de supprimer les liens qui existent entre les deux. Dans cette optique, alors que le Parti québécois propose de limiter les dons privés à 100 $, je vous demande ceci : s'ils devenaient complètement illégaux, que se passerait-il?

Un financement entièrement public des partis politiques constituerait-il un fardeau supplémentaire pour l'État? Cet argument revient presque systématiquement. Bien évidemment, le gouvernement dépenserait davantage d'argent pour faire fonctionner les partis politiques qu'il finance déjà en bonne proportion. Il s'agit d'un fait. Pour saisir les avantages de cette mesure, il faut pousser l'analyse plus loin. En analyser les impacts.

Nécessairement, que les partis ne fonctionnent qu'avec des fonds publics implique l'abolition des dons privés. Toute faveur monétaire d'un particulier ou d'une entreprise quelconque s'en trouverait prohibée. Tout financement douteux deviendrait synonyme d'illégalité sans qu'une ambiguïté ne puisse se glisser. Depuis plusieurs mois, on cherche des moyens de combler les brèches des lois existantes afin de freiner la collusion et la corruption dans l'industrie de la construction (expression si souvent employée que c'est presque rendu une formule toute faite). Avec un financement 100% public des partis politiques, le système de corruption pour l'obtention de contrats aurait de gros bâtons dans les roues. Les enveloppes brunes, les fameuses enveloppes ne disparaîtraient pas, certes. Il y aura toujours quelque part un petit malin qui dénichera une faille et trouvera comment passer au travers des mailles du filet. Toutefois, cette fatalité ne constitue pas une raison de ne pas se doter du meilleur système de financement des partis politiques auquel on peut prétendre, bien qu'il soit imparfait, comme toute chose en ce bas monde.

En ne graissant plus la patte de gens corrompus avec de généreuses ristournes, en ne subissant plus les effets du gonflement de la valeur de plusieurs contrats publics, en ne se pliant plus aux règles des monopoles et des groupes d'entrepreneurs malhonnêtes pour des dons à son parti, combien le gouvernement québécois épargnerait-il? Les économies réalisées totaliseraient une somme importante pour le trésor collectif.

Les petits partis seraient avantagés par un tel système de financement. Ou plutôt, les grosses machines politiques devant eux devant composer avec la nouvelle façon de faire, perdraient un désavantage qui complique la progression des partis émergents depuis beaucoup trop longtemps. Sans ce frein, les idées fraîches pourraient parcourir davantage de chemin. On peut raisonnablement croire que les entourloupettes plus ou moins flagrantes se raréfieraient considérablement, faisant en sorte que toutes les formations en lice pour gouverner le Québec se contenteraient des fonds qui leur seraient octroyés par l'État. Une plus grande égalité entre les divers choix offerts aux électeurs en découlerait.

L'idée d'un financement public à 100% est régulièrement taxée d'idéaliste et gauchiste, voire même utopiste. Or, tel qu'expliqué et décortiqué plus haut, il s'agit d'une mesure simple, concrète et réalisable. Elle est économiquement viable et rentable pour les contribuables. Dépense supplémentaire du gouvernement ne rime pas avec alourdissement de sa dette. Dans ce cas-ci, le déboursement rime plutôt avec économie. Il est question d'une entrée indirecte substantielle d'argent. S'agit-il réellement d'une dépense au fond? Avant de catégoriser une idée, comme s'y réduisent certains, il faut chercher à pousser l'analyse autant que possible afin de prendre en compte tous les facteurs pertinents.

Actuellement, les donateurs privés peuvent signer un chèque allant jusqu'à 1000$ pour la formation politique de leur choix. Le gouvernement Marois propose de réduire ce montant à 100$. «Tu attaches moins tes partis, tu attaches moins tes élus à des intérêts privés et à des lobbys, et tu assures un financement démocratique à tout le monde», a déclaré à Radio-Canada Bernard Drainville, ministre péquiste des Institutions démocratiques. Tant qu'à diminuer l'attachement des «élus à des intérêts privés et à des lobbys», pourquoi ne pas aller jusqu'au bout en interdisant concrètement et catégoriquement cet attachement alors que l'on sait qu'il se manifeste inévitablement par les dons?

Une question de courage politique, voire de velléité, se pose ici alors que le gouvernement en place, tout comme le précédent, a promis de tout faire pour lutter contre la corruption sous toutes ses formes.