À peine nous remettions-nous du printemps érable que le ministre Pierre Duchesne, responsable de l'Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie du Québec, annonçait la tenue sous peu de nouveaux états généraux sur l'éducation. En 32 ans de carrière, j'ai eu l'occasion de participer ou d'assister de nombreuses fois à de tels exercices. Ces derniers peuvent être salutaires pour l'avenir de notre système d'éducation, mais uniquement si on arrive à laisser faux compromis et vraies compromissions au vestiaire.

Il était en effet surprenant de voir, lors des états généraux de décembre 2010, qu'une avenue de solution au sous-financement des universités avait été mise de côté, tant par la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec (CREPUQ) que par les fédérations et coalitions étudiantes. Sur au moins un point, ces protagonistes, sans même avoir à se parler, s'entendaient.

Pour la CREPUQ, il fallait une augmentation des droits de scolarité unique et applicable à tous, alors que pour  les fédérations et coalitions étudiantes, on militait pour un gel uniforme pour tous. Bref, tous les partis s'entendaient sur au moins une chose : toute solution devait être unique et uniforme. On s'entendait pour proposer une solution très simple à un problème trop complexe. Pourtant, une autre avenue existait, celle de la modulation des droits de scolarité selon le domaine ou selon l'institution. Cette solution a été unanimement écartée, souvent faute de courage.

Du côté des fédérations et coalitions étudiantes, le refus d'une approche modulée s'explique par la crainte que si l'on venait à permettre à un seul programme de passer outre au sacro-saint gel, cela pourrait entraîner le début d'une prolifération de dégels. Que ce soit une formation spécialisée en médecine pour un spécialiste qui gagnera sous peu près d'un demi-million, un MBA offert au cadre d'une grande banque ou à l'étudiant qui commence sa maîtrise en histoire de l'art, les frais doivent être rigoureusement les mêmes. Fidèles à cette logique, les fédérations et coalitions étudiantes ont fait valoir que l'éducation est un investissement qui profite avant tout à la société et non à celui qui en bénéficie. Toute déviation à ce dogme était  aussitôt pointée du doigt et celui qui osait nuancer cette position était généralement accusé de faire la promotion d'un asservissement et d'une marchandisation  du savoir.

La réalité, on s'en doute bien,  est plus nuancée.  Il existe une large variété de programmes universitaires et sans doute autant de raisons de vouloir s'y inscrire. À un extrême, il est clair que l'étudiant qui s'inscrit à un baccalauréat en histoire de l'art ne travaillera possiblement pas dans ce domaine à la sortie de ses études, et que même si tel était le cas, ce ne serait pas à un salaire de 50 000 $ ou plus.

Pourtant, comme société, nous avons besoin de personnes instruites dans ce domaine tout comme nous avons besoin d'historiens, de chimistes, de spécialistes de la littérature ou de philosophes. En fait, de telles formations sont un actif pour notre société si bien que je serais le premier à militer pour que leur coût soit non seulement gelé mais qu'il soit aboli.

À l'autre extrême, cependant, les formations de médecins, de pharmaciens, celles d'ingénieurs ou de financiers, à titre d'exemple, bien qu'elles profitent à la société, profitent aussi directement aux étudiants qui la prennent. Pour ces derniers, le risque d'un tel investissement est faible et le rendement prévisible. Quel serait alors le mal à demander à ces étudiants d'y contribuer de manière plus significative? Cette modulation, si l'on s'éloigne pour un instant des positions dogmatiques trop souvent évoquées, existe déjà dans les faits.

Lors des manifestations du printemps dernier 70% des étudiants ont poursuivi leurs études selon un calendrier pratiquement normal. Dès lors, il était paradoxal mais non surprenant  de constater que ce furent les étudiants en anthropologie ou en socio qui sont restés dans la rue alors que les futurs médecins, dentistes, ingénieurs ou financiers eux étaient retournés en classe.

En ce qui a trait à la CREPUQ, l'approche unique et simpliste qui est généralement proposée trouve son origine dans le fait que cette Conférence,  composée de 19 institutions universitaires, représente, comme il se doit, des établissements ayant des caractéristiques, des compétences et des réputations variées. Dans un tel contexte, permettre la modulation des droits de scolarité selon l'établissement et/ou selon la discipline compterait des risques. En fait, une telle modulation introduirait un facteur de compétition bien réel entre nos institutions qui sont elles mêmes de plus en plus concurrencées par les universités du reste du pays. Pour l'instant, cette concurrence se limite, pour certaines, à ouvrir, aux frais des contribuables, des campus satellites sur le territoire des autres universités.

Il ne fait ainsi aucun doute que  toute modulation pourrait avantager certaines institutions au détriment d'autres et pas nécessairement dans le sens que l'on pourrait croire. Ainsi, certains programmes d'études, s'ils étaient bonifiés par un budget similaire à ce que l'on retrouve dans la majorité des provinces canadiennes, deviendraient alors, tant par leur qualité que leur réputation, encore plus attrayants. Cette approche aurait le mérite de permettre à l'état de financer adéquatement les programmes et les institutions offrant une formation dont le retour sur investissement est moins assuré pour l'étudiant. À l'inverse elle permettrait aux programmes et institutions qui croient être en mesure d'offrir une formation pour laquelle des étudiants seraient prêts à investir davantage de le faire. Une idée bien simple mais qui, on le devine facilement, ne se discute visiblement pas de manière aisée à la table de la CREPUQ.

Pourtant, cette approche, qui existe déjà dans de nombreuses provinces canadiennes, attire plusieurs étudiants québécois et bien souvent les meilleurs. Combien de fois ai-je constaté que de nombreux étudiants, dont certains grands promoteurs du gel ou de la gratuité scolaire au Québec,  avaient,  selon leurs propres dires, préféré poursuivre leurs études en Ontario, souvent au triple du coût,  et ce afin de pouvoir bénéficier d'une meilleure formation que celle offerte ici.

La modulation des droits de scolarité n'est une formule ni unique ni nouvelle. Elle existe ailleurs et a fait ses preuves tellement qu'elle devient même attrayante pour nos propres étudiants. Persister à ne pas la considérer, que ce soit pour des raisons dogmatiques ou par manque de courage, résulterait, une fois encore, à condamner notre système d'éducation à devenir progressivement sous-performant tout en étant, dans les faits, résolument inéquitable. L'alliance passive entre d'une part les fédérations et coalitions étudiantes et d'autre part la CREPUQ, en plus de perpétuer l'illusion d'une solution unique et magique,  ne peut que continuer à desservir le Québec.