Confronté au grand Barnum de déclarations, de témoignages, d'allégations et d'accusations qui rythment presque quotidiennement les travaux de la commission Charbonneau, le Québec, abasourdi, semble découvrir chaque jour davantage un système de passe-droit institutionnalisé dans les rouages d'administrations municipales.        

Ces révélations risquent fort de venir alimenter chez les citoyens un sentiment de grande frustration et de cynisme vis-à-vis du personnel politique de la province. Ce serait cependant une erreur de faire des politiciens les seuls boucs émissaires de cette crise de confiance.

Ce serait oublier, d'une part, que les maires et les ministres qui nous gouvernent ont été élus - et dans bien des cas réélus - démocratiquement par la population.

Ce serait oublier, d'autre part, que les municipalités et le gouvernement agissent en théorie sous l'oeil vigilant et indépendant de vérificateurs généraux dont la mission est précisément de contrôler l'utilisation des ressources publiques et de s'assurer qu'elles sont gérées en conformité avec les lois et un souci d'économie, d'efficience et d'efficacité.

Chaque année, les vérificateurs généraux de la Ville de Montréal, de la Ville de Laval ou du gouvernement du Québec produisent plusieurs centaines de pages pour rendre compte de leurs audits et faire part de leurs recommandations. En septembre 2009, le vérificateur général de la Ville de Montréal rédigeait ainsi un rapport remarqué dans lequel il mettait en évidence différentes zones d'ombre à forte odeur de collusion entourant l'attribution du marché des compteurs d'eau de la Ville de Montréal. On sait ce qu'il est advenu de ce rapport et des nombreux coups qui ont été portés par la suite contre Jacques Bergeron pour tenter de le décrédibiliser.

Le rôle d'un vérificateur, qu'il s'agisse du secteur public ou du secteur privé, consiste à produire de la confiance entre l'entité qu'il contrôle et le public qui en dépend. Lorsqu'il échoue, les conséquences sont graves. La disparition brutale du cabinet Arthur Andersen impliqué dans l'affaire Enron est là pour en témoigner. La confiance est un élément fondamental, non seulement pour le climat des affaires, mais également pour l'harmonie sociale. Tout ce qui altère le lien social entre le gouvernement et les citoyens est une atteinte sérieuse au contrat démocratique.

Qu'il ait fallu ainsi attendre une commission d'enquête publique pour faire toute la lumière sur la gestion illégale et inefficace des fonds publics dans le domaine de la construction - c'est-à-dire pour faire en partie le travail attendu des vérificateurs - appelle sans délai un débat public autour des questions suivantes. Les vérificateurs de la province et des municipalités du Québec disposent-ils des ressources humaines et financières nécessaires pour exécuter leur mission? Ont-ils le pouvoir et l'autorité nécessaire pour mener leurs enquêtes face à des puissances mafieuses? Les contrôles internes des administrations publiques sont-ils à ce point défaillants qu'ils rendent la tâche des vérificateurs impossible? Sont-ils suffisamment protégés des pressions du pouvoir politique pour pouvoir assumer leur rôle de chien de garde et ne pas hésiter à bousculer les intérêts les plus établis? Bref, la vérification des comptes et de la gestion des administrations telle qu'elle est pratiquée aujourd'hui est-elle encore le bon outil pour détecter les menaces de fraude et de corruption?

Lorsque les feux des projecteurs médiatiques se seront éteints sur la commission Charbonneau, il reviendra au gouvernement d'en appliquer les recommandations et aux vérificateurs généraux d'en surveiller la mise en oeuvre. En conséquence, si les travaux de la commission devaient se conclure sans avoir sérieusement examiné et réfléchi au rôle et aux responsabilités des vérificateurs généraux, il y aurait tout lieu de craindre que la confiance du public ne puisse être pleinement rétablie, non seulement vis-à-vis de ceux qui nous gouvernent, mais également vis-à-vis de ceux qui les surveillent.